mercredi 29 juin 2011

Aimez-vous Brahms... de Françoise Sagan

Dans Aimez-vous Brahms, la vie de Paule, décoratrice à l'aube de la quarantaine, tourne autour de son amant. Mais, Roger, qui aime "faire le jeune homme", n'hésite pas à la délaisser pour d'autres maitresses. Souvent Paule se retrouve seule, à attendre son coup de fil en espérant qu'il ne décommandera pas, encore et encore, un de leurs diners. Paule rencontre  alors Simon, jeune homme de vingt cinq ans, qui tombe fou amoureux d'elle et se donne pour mission de la rendre heureuse et de la combler. Paule parviendra-t-elle à oublier Roger et à refaire sa vie avec Simon, au mépris des conventions sociales ? Roger laissera-t-il partir Paule, celle qu'il aime et vers qui toujours il revient ? 

C'est avec des mots très justes que Françoise Sagan dresse le portrait d'une femme, enracinée dans la solitude et arrivée à un âge où elle se remet en question. Paule est prise dans la tourmente de ses sentiments et de son désir absolu de bonheur. Touchée par la jeunesse, la fraîcheur de Simon et l'amour inconditionné qu'il lui porte, elle ne parvient pas à oublier les valeurs sûres que représente Roger. Si elle aime les regards envieux que lui jettent les femmes quand elle est aux bras de Roger, elle craint les qu'en dira-t-on sur sa liaison avec Simon, plus jeune qu'elle. Elle aime Roger et surtout, elle a l'habitude de lui, de son amour mais aussi de ses absences. Terrifiée à l'idée de se lancer dans une nouvelle relation qui chamboulerait toute sa vie,  elle hésite, recule, se lance, revient en arrière... Elle est presque impuissante, comme prisonnière de Roger et de sa vie.

Françoise Sagan sait parfaitement évoquer les émotions et pensées d'une femme, qui pourraient être celles de n'importe quelle femme qui voit lui échapper sa jeunesse, qui se sent vieillir sans pouvoir rien y faire. C'est le portrait d'une solitude déchirante et universelle. C'est pourquoi j'ai eu une impression de déjà-vu (ou déjà-lu) avec ce texte de Sagan, comme si l'histoire de cette femme, de son hésitation entre un homme jeune et un homme mûr, avait déjà été écrite bien des fois. Un beau texte donc, mais sans surprise.

Quelques extraits : 

"Paule contemplait son visage dans la glace et en détaillait les défaites accumulées en trente-neuf ans, une par une, non point avec l'affolement, l'acrimonie coutumiers en ce cas, mais avec une tranquillité à peine attentive. Comme si la peau tiède, que ses deux doigts tendaient parfois pour souligner une ride, pour faire ressortir une ombre, eût été à quelqu'un d'autre, à une autre Paule passionnément préoccupée de sa beauté et passant difficilement du rang de jeune femme au rang de femme jeune : une femme qu'elle reconnaissait à peine. Elle s'était mise devant ce miroir pour tuer le temps et - cette idée la fit sourire - elle découvrait que c'était lui qui la tuait à petit feu, doucement, s'attaquant à une apparence qu'elle savait avoir été aimée."(p.9)

"Elle n'avait envie de rien. Et elle avait peur de rester seule deux jours. Elle haïssait ces dimanches de femme seule : les livres lus au lit, le plus tard possible, un cinéma encombré, peut-être un cocktail avec quelqu'un ou un dîner et, enfin, au retour, ce lit défait, cette impression de n'avoir pas vécu une seconde depuis le matin." (p.42)

"Les hommes sont inconscients, pensait Paule sans amertume. "J'ai tellement confiance en toi", tellement confiance en toi que je peux te tromper, te laisser seule, et qu'il n'est pas possible que le contraire arrive. C'est sublime." (p.59)

Les extraits sont tirés de l'édition Pocket. Aimez-vous Brahms... de Françoise Sagan a été publié pour la première en 1959 aux éditions Julliard.
Le roman a été adapté au cinéma par Anatole Litvak avec Ingrid Bergman (Paul), Yves Montand (Roger) et Anthony Perkins (Philip/Simon). Je ne l'ai jamais vu mais j'aimerais bien !

Lu dans le cadre du challenge Françoise Sagan organisé par Delphine et George.

lundi 27 juin 2011

La Maison du sommeil de Jonathan Coe

Il y a quelques temps, j'évoquais ici l'achat de Une touche d'amour de Jonathan Coe. Finalement, j'ai commencé ma lecture de cet auteur avec La Maison du sommeil, acheté peu de temps après dans un vide-grenier (encore) et dont le résumé me tentait encore plus.

Jonathan Coe est un auteur britannique né en 1961. Auteur de plusieurs romans, il remporte le succès, et le prix Femina étranger en 1995, avec Testament à l'anglaise (What a curve up !). Publié en 1997, La Maison du sommeil (The House of Sleep) remporte le prix Médicis étranger en 1998. 

La Maison du sommeil met en scène plusieurs personnages qui ont presque tous un rapport plus ou moins complexe avec le sommeil et les rêves : Sarah est narcoleptique et a parfois du mal à distinguer ses rêves et la réalité, Grégory aime espionner les gens pendant leur sommeil, Robert fait un rêve récurrent et incompréhensible depuis qu'il est petit, Terry dort quatorze heures par jour car il trouve dans ses rêves le qu'il pense être le paradis et Ruby déverse un flot de paroles lorsqu'elle dort. Tous se rencontrent pour la première fois à Ashdown, résidence universitaire, "énorme, grise et imposante", "à une vingtaine de mètres de la falaise à pic" (p.16). De ce cadre lugubre, émerge une atmosphère de mystère. Des liens se créent entre les personnages, qui deviennent amis ou amants. Robert tombe fou amoureux de Sarah, qui, après avoir été plus d'un an avec Grégory, est en couple avec Veronica, comédienne. C'est la fin de leurs études, le moment est venu de faire des plans pour l'avenir, quand soudain Robert disparaît. Est-il parti à la recherche de sa sœur jumelle, dont il a été séparé à la naissance comme l'a rêvé Sarah ?
Une dizaine d'années plus tard, la résidence d'Ashdown, plus lugubre et vide que jamais, est devenue une étrange clinique spécialisée dans la recherche sur le sommeil dirigée par le Docteur Grégory Dudden, et son bras droit, Cleo Madison. Les anciens étudiants d'Ashdown, séparés, ont fait des choix de vie et de carrière différents. Quand Terry, devenu journaliste et insomniaque, se révèle capable de participer sans s'endormir au Cinéthon de Londres où sont diffusés 134 films d'affilée, Grégory l'invite à faire un séjour dans sa clinique pour étudier son cas. Sarah, quant à elle, toujours narcoleptique, est hantée par le départ soudain de son ami Robert.

Pas de suspense, j'ai adoré La Maison du sommeil ! Vraiment. L'histoire est passionnante, avec tout un tas d'éléments reliés les uns aux autres, liens que l'on découvre au fur et à mesure de la lecture, avec toujours la même surprise, le même "ah mais oui bien sûr !". Il est d'ailleurs difficile de résumer l'intrigue complexe sans trop en dévoiler. Une note de Jonathan Coe précise dès le début que l'histoire se déroule sur deux périodes : les années 1983-1984 (chapitres impairs) et la deuxième quinzaine de juin 1996 (chapitres pairs), ce qui facilite la compréhension du lecteur qui navigue d'une période à l'autre. J'ai beaucoup aimé le fait que chaque scène, chaque situation, chaque élément de l'histoire (ou presque) qui apparaît un peu flou au début soit repris et expliqué plus tard, ce qui dénoue peu à peu l'intrigue, mais laisse le suspense intact. C'est comme le film Le Sixième sens de Michael Mann : l'auteur dissémine des indices un peu partout, que l'on ne voit pas à la première lecture. Ce qui fait de La Maison du sommeil, un livre qui mérite d'être relu. Pour autant, ce n'est pas un livre parfait : j'ai moins aimé certaines scènes exagérées, voire invraisemblables. Mais ce fut pour moi une belle découverte, à tel point que j'ai enchaîné ma lecture directement sur Testament à l'Anglaise du même auteur.

vendredi 24 juin 2011

Nouvelles lectures communes

En allant faire un tour dans le jardin d'Asphodèle, je me suis inscrite à deux lectures communes pour cet été. Il s'agit de Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable de Romain Gary et Les Années d'Annie Ernaux, tous deux achetés récemment durant mon séjour en Bretagne. La première est prévue pour le 14 juillet et la seconde pour le 20 août. Je n'ai pas jamais lu aucun de leurs textes, ce sera donc une découverte des deux auteurs.

Quatrième de couverture de Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable de Romain Gary : Jacques Rainier, cinquante-neuf ans, industriel, est aux prises avec des difficultés en affaires au moment où sa liaison avec une jeune Brésilienne le rend très heureux. À la suite des confidences angoissées d'un ami obsédé par le mythe de la virilité, la peur du déclin sexuel s'insinue en lui, l'envahit, le détruit, ne le quitte plus.
En osant s'attaquer à un sujet tabou, Gary a soulevé un débat passionné, qui a connu un grand retentissement. Mais son livre cru et dur, dominé par un humour amer, reste aussi un roman d'amour plein de tendresse.

Samedi soir, sur France Inter, dans l'émission "ça peut pas faire de mal", j'ai pu écouter un extrait de ce livre (parmi d'autres de Gary) et j'ai été vraiment emballée. Vous pouvez réécouter l'émission ici (c'est la deuxième consacrée à Gary, et vous trouverez la première dans les archives).

Quatrième de couverture de Les Années d'Annie Ernaux :  «La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Les cuisses, plus claires, ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d'une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d'un séjour ou d'une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer.»
Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux donne à ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.

Si vous êtes intéressés et souhaitez vous inscrire, allez donc voir la page des lectures communes d'Asphodèle pour les inscriptions.

Ces deux lectures communes se rajoutent à Un Sang d'aquarelle prévue pour le 13 août.

mercredi 22 juin 2011

Toxique de Françoise Sagan

En 1957, Françoise Sagan, âgée de 22 ans, est victime d'un grave accident de voiture. Hospitalisée durant trois mois, on lui administre un dérivé de la morphine, le Palfium 875, pour calmer les terribles douleurs dont elle est la proie. A sa sortie d'hôpital, elle s'avère être dépendante de ce médicament, et le restera de nombreuses années après. Elle fait alors  un séjour dans une clinique spécialisée. Toxique est le journal écrit durant son séjour.

Ce journal est un texte court, très personnel, qui raconte d'abord le difficile sevrage subi par Sagan, la peur qu'elle éprouve alors de ne plus être elle-même, de ne pas arriver à s'en sortir. Elle évoque aussi l'ennui qu'elle éprouve dans cette clinique, malgré les visites de ses amis et proches. Françoise Sagan apparaît également comme terrorisée à l'idée de ne plus pouvoir, de ne plus savoir écrire. Elle remet en cause ses capacités d'écrivain. Ses doutes et son désespoir sont remarquablement illustrés par des dessins à l'encre de Chine de Bernard Buffet qui accompagnent le texte. Toxique est un récit sombre et intense qui nous fait partager l'état d'esprit d'une femme perdue et terrifiée.

Extraits : 

J'ai dû aller chercher l'infirmière en bas. Je ne suis retrouvée assise sur les marches de l'escalier; effondrée, lui répétant d'une voix que je sentais enfantine qu'il y avait plus de six heures que... En remontant avec elle, j'ai eu le sentiment de ce que pouvait être le sentiment de la déchéance. 

Me voici punie, moi qui ne crois pas aux punitions. Mes frères alcooliques, aimable tribu débonnaire des nuits de Paris, je ne pourrais plus vous suivre, de bar en bar, de voiture en voiture, ou bien à jeun. Et je crains que ça ne marche pas.

J'ai une crampe, j'ai une crampe dans la main droite qui me terrorise. [...] J'ai peur depuis 4 mois. J'ai peur et je suis lasse d'avoir peur. 



 Le journal a paru pour la première fois aux éditions Julliard en 1964. Les extraits sont issus de l'édition Livre de Poche.
Lu dans le cadre du challenge Françoise Sagan.

lundi 20 juin 2011

Purge de Sofi Oksanen

Sofi Oksanen est née en Finlande en 1977, d'un père finlandais et d'une mère estonienne. Elle publie en 2003 son premier roman, Stalinin lehmät ("les vaches de Staline"), récompensé en Finlande, puis, en 2005, Baby Jane. C'est en 2008 que paraît, en Finlande, Purge, récompensé par plusieurs prix littéraires. En 2010, Purge est traduit en français aux éditions Stock. Il reçoit le Prix Femina étranger et le Grand prix de la littérature du Conseil nordique.

Purge débute en 1992, en Estonie, au lendemain de la chute de l'empire soviétique. Aliide Truu, une vielle dame, vit seule, à la campagne, entourée d'une forêt, dans la crainte des pillages, alors que la population estonienne fête le départ des Russes. Un matin, elle trouve endormie dans son jardin, Zara, une jeune fille, dans un sale état. D'abord méfiante, elle va prendre peu à peu Zara sous son aile et, de la confrontation des histoires des deux femmes, vont surgir des secrets les reliant toutes deux.

Le récit se déroule sur plusieurs périodes différentes :

- Année 1992 en Estonie : Aliide Truu rencontre Zara, endormie dans son jardin. Petit à petit, leur lien et les secrets qui les entourent sont dévoilés.
- Dans les années 1990-1991 à Berlin : Zara, qui a quitté la Russie pour Berlin, connaît une terrible désillusion lorsque Pacha et Lavrenti, la force à se prostituer.
- Dans les années 1950 en Estonie : on retrouve Aliide, plus jeune, qui vit avec ses parents et sa sœur Ingel. C'est le récit d'une jalousie entre sœurs et d'un amour non partagé, Aliide aimant Hans, qui deviendra le mari d'Ingel. Mais le récit se fait aussi historique en évoquant le départ des Allemands après leur défaite, l'arrivée des soviétiques, la collaboration, les interrogatoires et les dénonciations, les violences faites aux Estoniens...

Des chapitres courts évoquent l'une ou l'autre des périodes et se succèdent, et parfois, un extrait du journal  de Hans Pekk, paysan estonien, vient compléter la narration et séparer les quatre grandes parties du récit.

Mon avis sur ce livre est assez mitigé. J'ai apprécié les rappels historiques d'une époque et d'un pays, l'Estonie, qui m'étaient méconnus. Cependant, les longues descriptions intervenant au début du récit ont failli m'empêcher de continuer la lecture. J'ai eu du mal à y entrer, l'auteur explorant le moindre détail, de la mouche volant dans la cuisine d'Aliide à la viande contaminée par les œufs des mouches, en passant par des scènes sexuelles très crues. Les odeurs sont très présentes, odeurs d'oignon, de cuisine, de raifort, de sueur, qui m'ont littéralement envahie. Les personnages, méfiants, sales, terrifiés, sont d'un abord peu sympathique. Une fois les cent premières pages (environ) dépassées, l'histoire devient enfin intéressante, notamment celle d'Aliide, Ingel et Hans.

Aliide est d'ailleurs un personnage terrible,  presque tragique, qui, pour  garder l'homme qu'elle aime près d'elle, se révèle prête à tout, même l'insupportable. Quant à Zara, jeune fille naïve à la recherche de liberté, elle se retrouve prise au piège dans un monde atroce, dont elle ne survivra qu'avec sa force de caractère et ses souvenirs.

Mais, dans ce livre,  il faut sans cesse passer d'une période à une autre, avec parfois l'envie de sauter des passages, moins prenants.  Bref, je ne regrette pas d'avoir réussi à passer le cap des cent premières pages et j'ai apprécié le fait d'entrevoir des événements historiques, de la Seconde Guerre Mondiale à la chute du Mur de Berlin, d'un autre point vue et d'un autre pays que la France et l'Allemagne. Mais, l'écriture du texte, très hachée, et le foisonnement des détails ne m'ont pas séduite.

Extraits : 

Bien qu’Aliide tentât depuis une bonne heure de lui régler son compte, la mouche était sortie victorieuse de chaque round, et elle voletait maintenant au ras du plafond en bourdonnant grassement. Une mouche à viande dégueulasse, élevée dans une fosse à ordures. Elle finirait quand même par l’avoir. Elle allait se reposer un peu, la liquider, et puis se consacrer à écouter la radio et faire des conserves. Les framboises l’attendaient, et les tomates, les tomates mûres et juteuses. 

Cette lecture a été faite en commun avec Delphine, retrouvez son avis sur son blog ici !

vendredi 17 juin 2011

L'Arrestation de Jean Anouilh

Je ne connaissais Jean Anouilh que par sa très appréciée pièce de théâtre, Antigone, lue et étudiée au collège, relue avec plaisir plusieurs fois ensuite. Jusqu'à présent, je n'avais rien d'autre de cet auteur, et c'est ce challenge qui m'en a donné l'idée, puisque le texte de cette pièce a été publié en 1986, année de ma naissance, chez Gallimard.

Un homme et un jeune homme partagent un taxi pour se rendre dans un vieil hôtel de luxe dans une petite ville d'eaux. Ils y rencontrent un petit garçon, dont la mère fait partie d'une troupe de musiciens venus égayer les soirées à l'hôtel, un commissaire à la retraite, un concierge, un veilleur de nuit et des clients de passage. Le petit garçon, qui s'ennuie car sa mère est accaparée par son métier de musicienne et son nouvel amant, Alberto, rencontre une petite fille bourgeoise dont il tombera amoureux. Le jeune homme est venu annoncer à sa femme qu'il la quittait, pour partir avec une autre femme. L'homme, dont on sait seulement qu'il est déjà venu il y a longtemps dans cet hôtel, les observe, les conseille et commente leurs faits et gestes. Au fil des dialogues et des situations, on se demande si le petit garçon, le jeune homme et l'homme ne sont pas en fait la même personne, à différentes époques mais toujours dans le même lieu, la petite ville d'eau et son vieux palace. Comment est-ce possible ? Que s'est-il passé ?  Qui est cet homme ? C'est le commissaire, étonnamment bien renseigné sur les personnages et situations, qui va lever le voile sur ce mystère...

Jean Anouilh donne à voir dans cette pièce de théâtre toute une vie d'homme, de l'enfance à l'âge mur, incarnés par trois personnages, qui se retrouvent au même moment et au même endroit. On est parfois un peu perdus tant la chronologie des événements est floue et ambiguë. C'est un bon livre à relire, pour repérer les indices sur la fin laissés par l'auteur tout au long du livre. Dans les passages que j'ai particulièrement aimés, je me rends compte qu'il s'agit souvent des tirades du commissaire, celui qui, petit à petit, amène l'homme, et le lecteur, à découvrir la vérité.
Le vieil hôtel apparaît comme un endroit mystérieux, sorte de purgatoire, d'entre-deux mondes, atmosphère renforcée par des lumières blafardes et des musiques étranges (dans les indications de scène). Certains acteurs sont amenés à jouer deux rôles, celui de leur personnage jeune et celui de leur personnage qui a vieilli. Plus qu'à lire, c'est une pièce à voir, car on ne reconnaît pas tout de suite l'acteur qui apparaît une deuxième fois pour jouer son personnage vieilli, et l'effet de surprise est alors plus efficace.
Je n'ai pas retrouvé dans L'Arrestation la même émotion que j'avais eu, et que j'ai encore, en lisant Antigone. Cependant, certains dialogues particulièrement bien écrits ont fait mouche, laissant apparaître derrière les personnages, l'auteur, qui critique une certaine hypocrisie de son époque. Jean Anouilh nous offre au final une histoire intéressante de la vie d'un homme, tiraillé entre une vie simple, conforme et ennuyeuse et une vie d'aventures mais sans femme et enfants. La révélation finale, que l'ont peut deviner dans une lecture attentive (et sans lire la quatrième de couverture...) est finalement bien amenée.

Quelques extraits :

"On attache toujours une importance exagérée au présent. On s'agite et, pour finir, nous ne vivons que de souvenirs, comme si les faits, de même que certains plats cuisinés, n'étaient vraiment bons que réchauffés. Le moment nous file entre les doigts, informe, et c'est après, quand tout se remet en ordre, qu'on le déguste... Et rarement dans l'ordre chronologique - qui est une belle foutaise des hommes, vous ne trouvez pas ?..." (Le Commissaire p.80-81)

"Quand le cœur cesse de battre et qu'on est mort pour la médecine, le cœur arrêté, une dernière pulsation irrigue encore une fois le cerveau, vous me l'accordez ? C'est de la mécanique. On a donc encore une seconde d'images ? Un dernier petit tour, les  souvenirs, et puis s'en vont... Toujours est-il que, pour une seconde, le cœur arrêté, on est à l'intérieur de cet instant..." (Le commissaire, p.99)

"C'est admirable la bourgeoisie. C'est la seule classe sociale qui ait trouvé réponse à tout. Elle a assis solidement son gros derrière sur les autres, et peut se consacrer uniquement à son bonne conscience. Remarquez qu'il commence à y avoir des secousses dans le derrière - mais cela ne l'incommode pas encore trop... La maman de cette petite fille est en train de se payer sous nos yeux, les délices de la charité - avec un vieux fond de thé et un reste de tarte aux pommes... Regardez-la qui se rengorge comme une poule, ses perles satisfaites sur son gros jabot luisant... elle fait un peu de social, pendant le five o'clock. Elle aide un petit malheureux avec beaucoup de générosité, à se hisser d'un cran en dehors de l'ornière." (Le Commissaire, p.134)

Les extraits de L'Arrestation de Jean Anouilh sont issus de l'édition Folio (Gallimard).
La pièce de Jean Anouilh a été représentée pour la première fois, à Paris, le 20 septembre 1975 au théâtre de l'Athénée.

Lu dans le cadre du challenge "Année de naissance" organisé par Sabbio.

mercredi 15 juin 2011

Le Roi pêcheur de Julien Gracq

Lors de mon séjour tout récent en Bretagne, j'ai eu l'occasion de visiter le Centre de l'Imaginaire Arthurien, dans le château de Comper. Le centre propose une exposition (cette année sur Morgane et Mélusine) et surtout, une librairie d'ouvrages sur les légendes arthuriennes, de Brocéliande et de Bretagne. Pour les passionnés du monde arthurien, cette librairie est une mine d'or. Je suis repartie avec quelques livres, notamment Le Roi pêcheur de Julien Gracq.

Julien Gracq est né en France le 27 juillet 1910. Son premier roman publié en 1938, Au château d'Argol, est désigné par André Breton comme le premier roman surréaliste. Il se fait connaître avec Le Rivage des Syrtes, qui remporte en 1951 le prix Goncourt mais que l'écrivain refuse. Il meurt le 22 décembre 2007, après de nombreux récits de fiction, récits autobiographiques et réflexions sur la littérature de son époque.

Le Roi pêcheur est la seule pièce de théâtre écrite par Julien Gracq, publiée en 1948 et créée au Théâtre Montparnasse de Paris en 1949. Il s'agit d'une réécriture du mythe arthurien et notamment de l'histoire de Perceval, largement inspiré du Parsifal de Wagner.

"Wagner est un magicien noir - c'est un mancenillier à l'ombre mortelle - des forêts sombres prises à la glu de sa musique il semble que ne puisse plus s'envoler après lui aucun oiseau." (Avant-propos, p.14)

Dans le château de Montsalvage, tous, chevaliers et dames, attendent l'arrivée du Simple, du Pur qui viendra les délivrer et soigner leur roi. Amfortas, le roi du Graal et du château est terriblement blessé, la cuisse transpercée par une lance. "La plaie est affreuse. On dirait une bouche qui mâche une écume de sang noir. les lèvres bougent." (p.21).
Le Graal refuse de se montrer depuis la faute d'Amfortas, qui a été séduit par la belle Kundry, aujourd'hui aide-soignante dévouée. Cette maladie qui le ronge, altère aussi le château et le royaume, où le jour tombe, comme la nuit, enveloppé d'un brouillard humide et étouffant. "C'est le silence du Graal. Nos yeux s'éteignent, notre oreille s'endort, notre souffle se raccourcit et se gèle depuis qu'il n'est plus que pierre froide pour nos cœurs, et pain chiche et amer pour notre bouche. Depuis la faute d'Amfortas." (p.20).
Arrive alors Perceval, jeune, beau et fort chevalier, en quête du Graal. Clingsor, ennemi du roi Amfortas et du Graal, le repère et tente par tous les moyens de l'empêcher de réveiller le Graal...

J'ai beaucoup aimé cette pièce de théâtre et le beau langage poétique de Gracq, qui a su rendre avec brio l'atmosphère lourde et pesante qui règne sur le château. On reconnait très bien le mythe arthurien dans cette pièce, et notamment la trame de Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes, mais Julien Gracq ajoute des éléments nouveaux que j'ai beaucoup appréciés. En effet, le Graal apparaît comme dangereux tant il éblouit ceux qui le contemplent, voire brûle ceux qui ont pêché. Être roi du Graal revient à endosser une lourde charge, quitte à le regretter : "Le Graal est exigeant. On n'endosse pas, comme un costume, ne fût-ce qu'un reflet de la divinité" (p.139). Julien Gracq fait du Graal un objet, quasi-vivant, terrible, purificateur sans concession, assez loin de l'image traditionnelle du Graal et de sa fonction nourricière. Le Mal ne vient pas forcément de là où on l'attend dans cette très belle pièce de Julien Gracq, dont je conseille vivement la lecture.
 
Extrait : 

 ".....les pont-levis s'abaisseront, et les femmes du château le laveront, le parfumeront et le vêtiront de samit, de soie d'Orient et de fourrures de Varangie et le roi le priera au soir dans la grand'salle. Et les chevaliers siègeront à leur rang sur les lits de brocart d'or. Et les portes d'ivoire s'ouvriront, et les trompettes sonneront, et Montsalvage, jusqu'aux plus creux de ses pierres ne sera plus qu'un seul souffle suspendu. Et le Graal sera porté par des vierges de haut lignage sur un plateau de pierres précieuses, et il sera lumière, musique, parfum et nourriture. Et le Graal sera porté devant le Très Pur, et les lèvres du Très Pur murmureront la question qui brise les charmes : "Quel nom est le lien, le plus éclatant que la merveille ?". et la Colombe descendra sur les airs, le Graal éclatera dans la splendeur, la plaie d'Amfortas guérira, la vie coulera aux veines dans toute sa force, et le Très Pur règnera avec honneur sur Montsalvage." (p.30)

Les extraits sont issus de Le Roi pêcheur de Julien Gracq aux éditions José Corti.

mercredi 8 juin 2011

[Challenge Un mot, des titres ] : J'y participe !

Calyspo, du blog Aperto libro, vient de lancer un nouveau challenge très original !

Le principe est simple : il s'agit de lire un livre dont le titre comporte un mot imposé, d'abord par Calypso, ensuite par tirage au sort parmi les mots proposés par l'ensemble des participants. Le challenge a commencé le mercredi 1er juin avec le premier mot imposé. Les participants ont un mois et demi pour lire le livre qu'ils auront choisi.


Le premier mot imposé est : BLEU. Après quelques recherches, j'ai choisi de lire : Les Yeux bleus, cheveux noirs de Marguerite Duras.

La première session se termine le 15 juillet 2011 et les critiques seront publiées ce jour-là.

J'ai hâte de connaître les prochains mots imposés, de voir s'ils correspondent par hasard à un titre déjà présent dans mes livres à lire, ou de faire des recherches pour trouver celui qui me plaira et dans le genre qui me tentera.

Plus d'informations ici et inscription ici pour la session 1.

lundi 6 juin 2011

Chi, une vie de chat de Kanata Konami

Kanata Konami est une mangaka japonaise née en 1958, qui a publié plusieurs mangas sur la vie de chats en appartement. C'est le cas de Chi, une vie de chat (Chi's sweet home), publié en plusieurs tomes depuis 2004.

Chi est une petite chatte de quelques mois qui, après s'être éloignée un instant de sa mère, se perd. Elle est recueillie par Yohei, un petit garçon, et sa mère qui l'emmènent dans leur appartement où il est pourtant interdit de garder des animaux. Yohei et ses parents finissent par l'adopter, tout en cachant son existence au reste de l'immeuble. Chi tente de retourner près de sa mère, mais peu à peu, elle apprend à aimer les membres de la famille.


 
N'est-elle pas mignonne ?

Le premier tome de ce manga est un véritable coup de cœur ! En couleurs, il s'adresse tant aux enfants qu'aux adultes amoureux des chats. Quiconque a ou a eu un chat, reconnait forcément le sien dans l'un ou l'autre des différents "chats pitres" du manga. Chi est une adorable petite chatte, très mignonne, curieuse et joueuse, à qui il faut apprendre à aller dans sa litière, ne pas manger les plantes, ne pas griffer les meubles etc. Il faut l'emmener chez le vétérinaire, lui acheter des jouets, la surveiller, jouer avec elle... Grâce à son dessin, Kanata Konami rend Chi très expressive : elle passe d'une émotion à une autre et le lecteur avec. On sourit, on rit, on s'apitoie, on pleure et surtout on est rapidement pris d'affection pour cette petite chatte si mignonne.

Quelques images pour terminer : 

Je reconnais bien ça...
Ça aussi !




Chi, une vie de chat est publié aux éditions Glénat Kids. Quatre tomes sont déjà disponibles et le cinquième est prévu pour le 20 juillet 2010. Chaque tome propose un bonus : un marque-page est à découper dans le tome 1.

Mais oui, toi aussi tu as le droit de le lire !

vendredi 3 juin 2011

Dernières acquisitions...

Après plusieurs passages en librairies, brocantes, bibliothèques, voici mes dernières "acquisitions" et lectures à venir...

J'ai trouvé ces trois livres dans un vide-grenier :
 - Une touche d'amour de Jonathan Coe : jamais lu de livre de cet auteur, ce sera donc une découverte !
- Tortilla Flat de John Steinbeck : j'ai aimé Des souris et des hommes et Les raisins de la colère de Steinbeck, j'espère qu'il en sera autant pour celui-là.
- La couleur pourpre d'Alice Walker : je me souviens avoir beaucoup aimé le film, en sera-t-il autant pour le livre ?



Et oui pas mal de Sagan ! Dans le cadre du challenge Sagan, j'ai choisi plusieurs livres à lire bientôt, ou plus tard, car je ne veux pas prendre le risque de faire une overdose "saganesque". Parmi les livres, un DVD, emprunté dans ma BU : c'est un court documentaire sur Sagan avec des archives filmées.





C'est suite à une discussion avec Asphodèle que je me suis laissée tenter par la lecture de Kundera, à commencer par L'insoutenable légèreté de l'être.

Le club des lectrices avait choisi de lire Les années douces de Kawakami Hiromi, et leurs chroniques m'ont décidée.

Petite anecdote : j'ai trouvé, il n'y a pas longtemps, dans la rue un exemplaire de Tropique du Capricorne d'Henry Miller (ce n'était pas du bookcrossing !). J'ai donc décidé de le prendre, mais avant il me fallait lire le début, Tropique du Cancer.


Dernière tournée en librairie :
- Entre le Chaperon rouge et le loup, c'est fini :  suite de Entre Dieu et moi, c'est fini, de Katarina Mazetti, qui avait ouvert le blog !
- le premier tome de Chi, une vie de chat de Kanata Konami : vu sur plusieurs blogs de lecteurs
- ah ben tiens, encore des livres de Françoise Sagan...

mercredi 1 juin 2011

Bacalao de Nicolas Cano

Il s'agit d'un livre voyageur de Delphine, un premier roman de Nicolas Cano, publié en 2010 aux éditions Arléa.

Vincent, professeur d'une quarantaine d'années dans un lycée catholique de Lyon, tombe follement amoureux d'Ayrton, nouvel élève dans sa classe, au premier coup d'œil. S'ensuit une histoire d'amour à sens unique, dans laquelle Vincent fera tout pour obtenir les rares faveurs sexuelles consenties par son amant. Vincent suivra Ayrton jusqu'à Madère, où il découvrira une belle île touristique, mais aussi l'envers du décor, la pauvreté et la prostitution.

C'est avec une écriture juste et pudique et beaucoup de mélancolie que Nicolas Cano évoque l'homosexualité d'un homme, bouleversé par la beauté d'un jeune garçon, très différent, pour lequel ne comptent que le football et le Portugal. Sans pourtant se faire d'illusion, Vincent est prêt à tout pour le séduire, jusqu'à tenter de l'acheter avec son argent et ses cadeaux. Désespéré, il passe ses journées et soirées à attendre un appel d'Ayrton, et malgré l'ingratitude de son amant, un seul baiser lui fait tout oublier. Le personnage de Vincent est très touchant, et c'est avec émotion, que l'on regarde cet homme se perde dans amour impossible.

Nicolas Cano nous offre ici un beau premier roman, imparfait, mais qui fait de lui un auteur à suivre !

Extrait : 

Lorsqu'il vit ce garçon affalé, magnifique et parfaitement indifférent au désarroi amoureux d'une princesse de la cour d'Henri II, Vincent éprouva un désir d'une violence extrême. Les jambes qui dépassaient du bermuda lui donnèrent l'envie extravagante d'être le bermuda, et cette envie trotta au mépris de l'analyse qu'il devait à l'arrivée de M. de Nemours au bal de la cour. (première page)

Hélène disait que, dans la relation amoureuse unilatérale, la pire des choses est la supériorité bienveillante de l'autre, sa manière de condescendre et son pouvoir absolu sur l'attente de l'autre. Le temps que Vincent passait à attendre Ayrton était insoutenable. C'était un temps privatif, obsessionnel, sans dérivatif possible. (p.60)

Pour plus d'infos sur l'écriture du livre, Incoldblog a interviewé l'auteur ici. Très bonne lecture !