lundi 19 mai 2014

Sept yeux de chats de CHOI Jae-Hoon

Six membres d'un forum ayant pour thème principal les tueurs en série, sont invités à passer le week-end dans la demeure du Diable, administrateur du site web. Leur hôte est absent, mais les invités font connaissance autour des nombreuses bouteilles d'alcool mise à disposition. Lorsque le premier invité se fait sauvagement assassiné, l'angoisse monte, d'autant plus qu'un terrible blizzard les empêche de quitter le chalet et qu'ils n'ont trouvé aucune nourriture.

En ouvrant la porte de chez moi,
J'ai vu sept yeux de chats briller dans le noir.
Je n'ai que trois chats,
Un blanc, un noir et un tacheté.
Je n'ai pas osé allumer la lumière.

Le début de Sept yeux de chats m'a fortement rappelé Les dix petits nègres d'Agatha Christie, c'est-à-dire un huis-clos angoissant où les invités meurent les uns après les autres, et dans lequel l'hôte est invisible. Mais Sept yeux de chats, c'est aussi beaucoup plus que cela. Le roman est ainsi composé de plusieurs parties :
- Le sixième invité : c'est la première partie du roman, le huis-clos dans le chalet
- Équation d'une vengeance : on y trouve le récit de différents personnages, instigateurs ou victimes d'une vengeance. S'agit-il des personnages du récit précédent ? Va-t-on comprendre pourquoi ils ont été assassinés ?
- π : Ici, il y a trois histoires imbriquées. On suit M., traducteur de roman, qui rencontre une belle jeune femme qui s'installe chez lui. Nous est racontée également l'histoire de Q Mystery Club, roman que M. est en train  de traduire, et il s'agit en fait de l'histoire du "Sixième invité". Enfin, chaque nuit la mystérieuse belle jeune femme qui habite avec M., lui raconte l'histoire d'Haru, étrange cambrioleur.
- Sept yeux de chats : Un écrivain commence la lecture d'un livre à la bibliothèque de son quartier. Mais suite à une opération de la cataracte, il est obligé de rester trois semaines un bandeau sur les yeux. N'ayant pu lire que le premier chapitre de ce roman, il commence à imaginer la suite lui-même...

On pourrait penser que toutes ces parties peuvent se lire séparément, c'est vrai, mais ce serait passer à côté de tous leurs liens et de l'extraordinaire construction du roman. Ces parties, c'est un peu comme des variations d'un même thème musical dans lesquelles on retrouve certains éléments, un peu comme si l'écrivain s'amusait avec le lecteur, en brouillant les pistes et en lui donnant à lire la même histoire racontée selon des points de vue différents ou bien avec des changements. On y retrouve les thèmes du double (les jumeaux), de l'épilepsie, de la vengeance et une obsession pour La Jeune Fille et la Mort (Munch et Schubert) et le Baiser de Klimt. C'est "une histoire qui s'efface en s'achevant, une histoire qui recommence éternellement, tel le nombre π qui se prolonge à l'infini sans qu'aucune séquence de ces décimales ne se répète. Le roman à suspense parfait, comme tu aimerais en écrire un, non ?"

Bref, Sept yeux de chats est un roman, si on peut parler de roman d'ailleurs, complexe, déroutant et surprenant, mais aussi très prenant et extrêmement bien construit. Une très belle découverte !

mardi 13 mai 2014

[Expo] Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou, Paris

Dix ans après la disparition d'Henri-Cartier Bresson, le Centre Pompidou rend hommage au photographe en lui consacrant une exposition retraçant l'ensemble de son œuvre, des années 1920 au seuil du 21e siècle. L'exposition est constituée selon un ordre chronologique et s'attache à mettre en évidence les différentes facettes d'Henri Cartier-Bresson dont l’œuvre est multiple.

En effet, l'exposition nous montre tour à tour un Cartier-Bresson surréaliste, anticolonialiste et proche des communistes, cinéaste, reporter et même dessinateur. C'est à partir de 1926 qu'il fréquente les surréalistes, sans jamais adhérer au mouvement et ses photos s'en ressentent par leur côté inattendu, surprenant. Il a ensuite beaucoup voyagé en Europe, aux États-Unis et au Mexique. Reporter après la guerre, il fonde l'agence Magnum Photos en 1947 et réalisera de nombreux photoreportages vendus au magazine Life, jusqu'au début des années 1970 où il arrêtera.

Henri Cartier-Bresson : Livourne, Italie, 1933
Henri Cartier-Bresson : Peu avant l'indépendance de l'Indonésie, 300 portraits de dirigeants néerlandais sont décrochés de la résidence de Jakarta, Indonésie, 1949

Pourquoi aller voir cette exposition ?

- Pour voir les nombreux visages de Cartier-Bresson et son évolution dans le temps, autant personnelle (son engagement, son activisme...) que technique (sa façon de photographier, son court passage à la couleur malgré lui...)

- Parce que Cartier-Bresson a photographié de nombreux grands événements du 20e siècle et ses photographies sont des témoignages importants et diffusés dans le monde entier : les premiers congés payés, le couronnement de George VI, la Libération de Paris, les funérailles de Gandhi, Cuba juste après la crise des missiles, L'Union Soviétique des années 50...

- Tout simplement parce que les photos de Cartier-Bresson sont belles et qu'on y retrouve tout l'art de composition du photographe : la capacité à prendre la photo à "l'instant décisif", à attendre que les personnages passent devant un fond choisi par le photographe et à prendre la photo au moment précis qui la rendra unique.

Henri Cartier-Bresson : Moscou, Union Soviétique, 1954

Henri Cartier-Bresson : Derrière la Gare Saint-Lazare, Paris, 1932

L'exposition est programmée au Centre Pompidou jusqu'au 9 juin 2014, dépêchez-vous !

Plus d'infos ici.


vendredi 9 mai 2014

Du côté de Guillestre dans les Hautes-Alpes

Il y a quelques temps, nous avons profité du week-end prolongé de Pâques pour aller nous ressourcer dans les Alpes, sortir de la ville et prendre un bon bol d'air frais à la montagne. Si le temps n'était franchement pas avec nous, nous sommes quand même allés nous balader à Guillestre, à la porte du Queyras, entre Embrun et Briançon.

Les façades colorées et la rivière du Guil qui traverse la commune lui donnent beaucoup de charme.







L’église Notre-Dame d'Aquilon n'a rien de remarquable en soi, si ce n'est sa superbe porte à la serrure décorée et aux clous en forme de cœurs et autres symboles. 



Si vous passez dans le coin, n'hésitez pas à flâner dans le centre historique de Guillestre, surtout par beau temps !

lundi 5 mai 2014

Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq

Solange est une actrice française, installée à Los Angeles. Lors d’une soirée chez le célèbre George, elle fait la rencontre de Kouhouesso, acteur canadien d’origine canadienne. C’est le coup de foudre, surtout pour elle. Solange est blanche, Kouhouesso est noir, et leur relation ne sera pas de tout repos.

Le titre du roman de Marie Darrieussecq est tiré de La Vie Matérielle de Marguerite Duras : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. ». Et l’écriture de Marie Darrieussecq m’a rappelé à certains moments celle de Duras, notamment dans la scène de la rencontre entre Solange et Kouhouesso. Je parle d’ailleurs volontairement de scène, comme au cinéma, car ce roman est construit comme un film : un générique, un début, un « The End » et même des bonus. Et on y croise des stars de cinéma : George (Clooney), Matt (Damon), Vincent (Cassel), Steven (Soderbergh)…  

Il faut donc beaucoup, beaucoup aimer Kouhouesso pour pouvoir le supporter. Car il est distant, présent par intermittence et surtout totalement obnubilé par son projet de film, une adaptation d’Au cœur des ténèbres de Conrad. Si on ne doute pas du coup de foudre pour Solange, on peut franchement se poser la question pour Kouhouesso. Solange est prête à tout pour lui, prête à le suivre jusqu’en Afrique et à mettre de côté sa carrière d’actrice frenchie qui commence à se faire connaître. Si j’ai d’abord trouvé Solange touchante dans son désespoir de femme amoureuse, toujours dans l’attente que Kouhouesso la rejoigne chez elle ou l’appelle ou tout simplement daigne lui parler ou la regarder, j’ai fini par m’agacer légèrement de son comportement soumis et passif.  

Marie Darrieussecq raconte aussi les difficultés qui existent encore pour les couples mixtes : les regards des autres, les différents de points de vue et d’expérience.  Kouhouesso subit encore le racisme ambiant, et il en veut presque à Solange, qui ne peut pas comprendre à cause de son statut de Blanche : « Il l’arrêta, elle était trop française, barricadée dans ses propres préjugés, qu’elle le laisse finir : il aurait eu du mal, comme toujours dans ces dîners, à isoler une phrase vraiment raciste – il avait sa petite idée mais passons – c’était l’ensemble, et c’était fait exprès : on ne peut jamais pointer l’ennemi, il est pris dans l’entièreté de son monde, dans son raisonnement de dominant. C’était ce bloc qui l’épuisait, ce mur qu’ils lui opposaient sans même sans rendre compte, leur monde qu’ils prenaient pour l’univers. » Solange quant à elle, cherche à connaître l’Afrique, à travers Kouhouesso, à dépasser les préjugés et clichés pour se faire une idée de ce qu’est vraiment ce pays. 

C’est donc avec beaucoup de plaisir que j’ai lu cette histoire d’amour en cinq actes, rythmé par la belle écriture de Marie Darrieussecq que je découvre pour la première fois et qui a su m’émouvoir.

Lu dans le cadre du Prix Océans.

vendredi 2 mai 2014

Aux frontières de la soif de Kettly Mars

Canaan, camp de réfugiés créé à Haïti après le séisme de 2010, est devenu, un  an après, un immense bidonville dans lequel des milliers de personnes vivent dans la pauvreté, le dénuement et les pires trafics en tout genre. Notamment celui de toutes jeunes filles dont on offre le corps à des hommes prêts à payer pour. C’est le cas de Fito Belmar, architecte et écrivain en panne, qui vient se perdre  tous les vendredis soirs dans une de ses tentes où l’attendent des fillettes effrayées.  Ecœuré par ses pulsions, il espère que l’arrivée à Haïti de Tatsumi, journaliste japonaise avec qui il a échangé des mails, viendra le guérir de ses terribles penchants. 

Fito n’est plus le même homme qu’autrefois. S’il a survécu au séisme, il y a perdu des êtres chers. Il est révolté contre la lenteur du gouvernement qui laisse sa population croupir dans des camps infects et être ravagée par des épidémies de choléra. S’il a eu du succès avec son premier roman, il n’arrive plus aujourd’hui à écrire. Il se noie dans l’alcool, s’éloigne de sa compagne et de ses amis. Seules les jeunes filles qu’il rejoint tous les vendredis soirs sous leur tente contre de l’argent lui donne l’impression d’être encore vivant. Il est en pleine détresse, terrifié par ce qu’il est devenu et rongé par la honte. Mais rien de tout ça n’est parvenu à m’émouvoir, et tous ses problèmes et difficultés résonnent comme des prétextes l’autorisant à s’adonner à des penchants abjects. 

Et puis arrive Tatsumi, la femme qui pourrait parvenir à sauver Fito Belmar et l’empêcher d’aller se perdre dans Canaan ! Une femme qui ressemble à une enfant : « Elle avait une voix d’enfant, une queue-de-cheval, la face ronde et plate, un nez petit et droit, des lèvres épaisses, bien ourlées et comme teintées de vin rouge. […] Elle pourrait aussi bien être un jeune garçon. Une femme enfant. » Alors là, on penche carrément dans le sordide : non seulement, Fito aurait le droit d’être pardonné et excusé, mais en plus par une femme qui lui rappelle les toutes jeunes filles avec qui il prend du plaisir les vendredis soirs… 

Je n’ai pas beaucoup apprécié le côté presque malsain de ce roman et dont on ressort avec un sentiment de malaise. J’aurais aimé que l’auteur donne plus de place aux paroles des jeunes filles abusées, qui apparaissent ponctuellement dans le roman, mais trop peu, et qu’on ait moins l’impression que le comportement de Fito puisse être excusable. Kettly Mars dénonce avec un certain talent d’écriture les horreurs commises dans son pays, mais en adoptant un point de vue très risqué qui peut ne pas plaire à tout le monde.

Lu dans le cadre du Prix Océans.