mardi 30 août 2011

La brocante Nakano de Kawakami Hiromi

Mademoiselle Hitomi Suganuma travaille à la brocante Nakano, du nom de son propriétaire, un homme âgé et séducteur qui remplit sa boutique de tout un bric-à-brac d'objets, mais d'aucune antiquité. Avec elle, travaille Takeo et, de temps en temps, Masayo, la soeur de M. Takano leur vient en aide. Au fil des saisons, les récupérations d'objets se succèdent et les clients, tous plus ou moins insolites, défilent.

Chaque chapitre tourne autour d'un objet ou d'un client : objet maudit, client très porté sur le sexe, tous donnent lieu à des situations inédites. Derrière ces petites scènes, Kawakami Hiromi nous donne à voir l'évolution des relations entre les personnages principaux dans leurs dialogues et leurs actes. Les relations amoureuses sont à l'honneur : celle balbutiante d'Hitomi et Takeo, celles de M. Nakano qui a femme et maitresses, et celle de Masayo sa sœur.

Je n'ai pas entièrement retrouvé le charme des Années douces de Kawakami Hiromi, que j'avais vraiment aimé. Les situations, les lieux m'ont moins touchés, la beauté du Japon (je pense à la Fête des Fleurs) y est moins présente, même si j'ai apprécié les scènes de repas. Il y a beaucoup de bavardages dans ce roman très doux, et peu d'action. Cependant, certains personnages sont touchants ou m'ont fait sourire. La lecture est plaisante même si ce n'est pas vraiment un roman que l'on lit sans pouvoir s'arrêter, et qu'au contraire, chaque chapitre peut se lire séparément.

Extrait : 

Brusquement, il m'a enlacée. Non seulement la pluie me dégoulinait dans le dos, mais Takeo me couvrait de son corps ruisselant, j'étais trempée. Il me serrait très fort. J'ai répondu à son étreinte. J'ai pensé que ce que je ressentais pour lui à cet instant était terriblement différent de ce qu'il éprouvait pour moi. L'idée de ce décalage m'a donné le vertige.

lundi 22 août 2011

Un sang d'aquarelle de Françoise Sagan

Constantin von Meck est un metteur en scène allemand qui a tout pour être heureux : il a fait une brillante carrière à Hollywood et est marié à la belle Wanda, actrice renommée. Mais après l'échec d'un film tourné au Mexique, il décide de retourner dans son pays natal en 1939, l'UFA lui demandant alors de venir travailler pour eux. Il devient alors le réalisateur chouchou de Goebbels. Trois ans plus tard, entouré de Romano, son jeune amant gitan qu'il fait passer pour son cousin éloigné, il retrouve Wanda sur le tournage de La Chartreuse de Parme, et doit faire face aux atrocités de l'Allemagne hitlérienne...

C'est en 1987 que Françoise Sagan publie Un Sang d'aquarelle, mais les événements du roman se situent dans les années 1939-1942, principalement en Allemagne et en France. Le personnage de Constantin von Meck est assurément le plus intéressant et Sagan nous fait partager ses émotions et ses pensées comme si nous étions dans sa tête et ce tout au long du roman. Constantin est un personnage ambigu et riche, contrasté, un optimiste pur et dur qui se laisse pourtant parfois aller à des moments de désespoir intense. Mis face aux crimes monstrueux de l'Allemagne nazie, il est intéressant de voir l'évolution de ce personnage : au début, il semble fermer les yeux, ne remettant pas fondamentalement en cause le gouvernement. Entouré à la fois de collaborateurs et de juifs qu'ils protègent, il n'a pas un avis tranché sur la question, comme s'il ne parvenait pas à trouver sa place en ces temps de guerre. Il apparaît d'ailleurs comme un personnage décalé dans cette Allemagne nazie, tant par son attitude, que par son physique et sa manière de s'habiller. Peu à peu, après avoir vu les atrocités nazies, il perd de sa nonchalance et de son optimisme, jusqu'au final époustouflant et inattendu.

Constantin von Meck est aussi complexe dans ses amours que dans son attitude face à l'Allemagne nazie. Il aime les femmes, et surtout Wanda, mais aussi les hommes, et surtout le beau et jeune Romano. Ce qui ne l'empêche pas de séduire les actrices de ces films. Comme la belle, mais naïve et peu intelligente, Maud, dont Sagan dresse un portrait cinglant avec beaucoup d'humour. Autre personnage féminin qui gravite autour de Constantin, Boubou Fragance apporte légèreté et comique au roman.

J'ai bien aimé ce roman de Sagan, que j'ai trouvé assez différent de ceux que j'ai déjà lus, au niveau de l'histoire, plus riche même si l'habituel triangle amoureux est présent et qui s'ancre réellement dans l'Histoire. Les personnages sont plus développés, notamment celui de Constantin von Meck qui a une véritable profondeur psychologique. Malheureusement, ils n'échappent pas tous à un certain aspect caricatural, je pense surtout à Maud qui joue le rôle de la petite blonde écervelée. Malgré quelques longueurs, et quelques invraisemblances (l'attitude de Constantin face aux officiers allemands et face à Goebbels) l'intrigue m'a tenue  en haleine d'un bout à l'autre.


Extrait : 

Assis dans son lit, la lumière allumée, Constantin tenta de se raccrocher à l'image de Constantin von Meck metteur en scène, le personnage invulnérable et gai qui était le sien, et qui, il le savait, rirait dès le lendemain matin de ces phantasmes, du précoce et frileux vieillard de cette nuit. Seulement à cette heure-là justement, le Constantin allègre et vainqueur n'existait plus ; il n'était qu'un reflet, un paravent, un mannequin de paille chargé d'écarter de lui les oiseux féroces et piaillards - aussi bien jadis les producteurs d'Hollywood qu'aujourd'hui les sbires de la Gestapo : Ce mannequin qui réussissait parfois à effrayer quelques-uns de ces dangereux prédateurs, mais, qui n'effrayait jamais l'aigle permanent et têtu qui l'écrasait et qui n'était que lui-même, Constantin, quadragénaire sans génie, sans patrie, sans attaches, à mille lieues de son public, de ses maitresses et de ses amis : un Constantin sans grâce et sans pitié, un Constantin sans courage et sans masque dont in ne pouvait se dépêtrer, un Constantin différent, en tout cas, de celui qu'il avait été toute sa vie et qu'il était encore trois ans plus tôt... (p.77-78)