samedi 30 août 2014

Quand l'empereur était un dieu de Julie Otsuka

Dans son roman, Julie Otsuka choisit d'aborder un aspect souvent méconnu de la Seconde Guerre mondiale : les camps de concentration aux États-Unis créés à l'attention des citoyens d'origine japonaise. Nous suivons donc une famille d'origine japonaise, plutôt aisée, a priori bien intégrée dans leur paisible ville. Au lendemain de l'attaque de Pearl Harbor, le père de famille est arrêté et déporté dans un camp de prisonniers. La mère et ses deux enfants se rendent d'eux-mêmes, en suivant les consignes placardées un peu partout en ville, au train qui les conduit dans leur nouveau lieu de résidence, un camp en plein désert américain. Commence alors leur nouvelle vie de prisonniers dans des conditions déplorables : ils subissent chaleur extrême l'été et froid l'intense l'hiver, manque d'hygiène qui provoque des épidémies, rationnement, manque d'eau et de nourriture, pénuries en tout genre, attente continue (du courrier, des repas, d'informations...)... Une fois libérés, un retour à une vie normale est-il encore possible ?

Julie Otsuka s'inspire de la déportation de ses grands-parents en 1941, mais elle écrit son roman en se débarrassant de tout pathos que d'autres auraient pu facilement mettre en avant  : on ne connait même pas le nom des personnages qui sont désignés uniquement par "le garçon", "la fille", "la mère". On peut alors avoir du mal à s'y attacher mais personnellement j'ai trouvé l'utilisation de ces termes génériques plutôt intéressante. On suit une famille comme tant d'autres et ce détachement apparent ne rend que plus puissant et réel le texte de Julie Otsuka. Car malgré tout, comment ne pas être touché par ce jeune garçon perturbé parce qu'il a vu son père être amené par des hommes du F.B.I. alors qu'il était en robe de chambre et pantoufles ? Et par le personnage très fort de la mère, qui se retrouve seule avec ses enfants, obligée de se séparer de sa maison, de ses animaux domestiques et de sa vie et qui se demande si son mari la reconnaîtra après des années de séparation ?

Quand l'empereur était un dieu évoque des événements de la Seconde Guerre mondiale dont on parle peu et rappelle le racisme envers les citoyens d'origine japonaise au lendemain de Pearl Harbor. Une lecture que j'ai beaucoup aimée et que je vous conseille !

Extrait : 
Chaque semaine, ils entendaient circuler de nouvelles rumeurs.
On allait mettre les hommes et les femmes dans des camps séparés. On allait les stériliser. On allait leur retirer leur citoyenneté américaine. On allait les emmener en haute mer pour les exécuter. On allait les envoyer sur une île déserte et les y abandonner. On allait tous les déporter au Japon. On ne les autoriserait jamais à quitter l'Amérique. On allait les garder en otages tant que tous les prisonniers de guerre américains jusqu'au dernier ne seraient pas rentrées sains et saufs au pays. On allait les confier à la garde des Chinois dès que la guerre serait terminée.
"On vous a amenés ici pour votre propre protection", leur avait-on assuré.
C'était dans l'intérêt de la sûreté nationale.
C'était une question de nécessité militaire.
C'était pour eux l'occasion de prouver leur loyalisme.

mardi 26 août 2014

La Promesse du bonheur de Justin Cartwright

C'est l'histoire des Judd, une bonne famille anglaise un peu décomposée depuis que la fille ainée, Judith, a été condamnée à deux ans de prison aux États-Unis pour un vol d’œuvre d'art. Charlie, le fils, s'est entiché d'une belle jeune femme qu'il n'est plus sûr d'aimer alors qu'elle vient de lui annoncer qu'elle était enceinte. Sophie, la fille cadette, est retombée dans la drogue et perd son temps avec un homme marié. Quant aux parents, réfugiés dans les Cornouailles, rien ne va plus entre eux, le père refusant d'aller voir sa fille pourtant chérie en prison. Là voilà d'ailleurs qui sort après deux ans de détention : l'occasion peut-être d'un nouveau départ pour cette famille enfin réunie.

Ce qui est appréciable dans ce roman, c'est que tous les personnages de cette famille sont traités de façon équitable. On a affaire ici à un roman extrêmement bien construit dans lequel chaque chapitre fait la part belle à un des personnages à tour de rôle. Si l'intrigue principale tourne autour de Judith, dont on apprend au fur et à mesure quelques détails sur le vol commis, sur les conditions de sa détention et sur son lent retour à une vie hors de prison, les autres personnages ne sont pas en reste. Charlie, auto-proclamé sauveur de la famille, va tout mettre en œuvre pour que sa sœur retrouve une vie normale, alors que la sienne est bousculée par l'arrivée d'un enfant et ses propres doutes. Sophie décide de se reprendre en main, la mère, Daphné, veut à tout prix réunir sa famille en Cornouailles et enfin Charles, le père, terrifié par les retrouvailles avec sa fille car il n'a pas eu le courage d'aller la voir en prison, semble partir complètement à la dérive. C'est peut-être cela le sujet du roman, la culpabilité d'un père face à sa fille et le pardon. C'est en tout cas l'histoire la plus touchante.

Voilà une belle lecture de cet été : le roman est très bien écrit et ponctué d'une pointe d'humour dans lequel on trouve des personnages justes et attachants. S'il ne restera pas forcément dans ma mémoire, sa lecture a été un plaisir !

jeudi 7 août 2014

Bienvenue au club de Jonathan Coe

Bienvenue au club est une fresque sociale, historique et culturelle des années 70 en Angleterre. On y suit un groupe d’amis, lycéens dans un établissement privé, rêveurs, musiciens, écrivains, journalistes en herbe, qui découvrent les filles, la musique punk et les soirées alcoolisées. Avec beaucoup d’humour et d’ironie, Jonathan Coe nous fait partager un temps le quotidien de ces lycéens qui montent des groupes de musique, passent leurs examens, sortent avec des filles et se racontent avec moults éclats de rires les dernières blagues d’Harding, le clown du lycée. Benjamin va-t-il réussir à se faire connaître de Cicely, la bombe de l’école de filles d’à côté ? Et Lois trouvera-t-elle l’homme de ses rêves dans les petites annonces d’un journal ? 

Benjamin, Doug, Philip, Claire et compagnie s’interrogent à peine sur le monde qui les entoure et les événements qui déchirent l’Angleterre. Car derrière leurs petites histoires innocentes, on entrevoit aussi, notamment à travers leurs parents délégués syndicaux ou chargés du personnel, les grandes grèves qui paralysèrent certains secteurs dans les années 70 quand les travailleurs se battaient contre le capitalisme, les patrons, les injustices sociales. Les manifestations pacifiques sont rapidement maitrisées par des policiers qui matraquent à tout va. 

Ce que l’on retient aussi de ces années-là, c’est la montée de l’extrême-droite et du racisme en Angleterre : Eric Clapton ivre lors d’un concert en 1976 soutient publiquement Enoch Powell, homme politique convaincu des dangers, pour l’Angleterre et les Anglais, de l’immigration. Margaret Thatcher reprendra d’ailleurs certaines de ses idées. Steve Richards, le seul élève noir du lycée, est appelé "Banania" par ses camarades. Des tracts racistes sont diffusés dans les entreprises. Ce sont à travers c’est quelques éléments perçus par notre groupe de lycéens, que l’on se rend compte de l’ampleur de la haine raciale qui se propage. 

La haine raciale touche également les Irlandais : nous sommes en plein conflit qui ne veut pas s’appeler guerre et les bombes explosent, les morts touchent de près nos lycéens qui entendent alors parler de l’IRA. 

Jonathan Coe réussit à merveille à faire de Bienvenue au club à la fois un tendre et drôle roman d’apprentissage et une critique sociale de l’Angleterre des années 70, pays en mutation en proie à de nombreux conflits. Je vous le conseille absolument ! J'ai également apprécié les variations de types de textes dans le récit : Jonathan Coe insère des articles du journal du lycée, des retranscriptions d'interviews, des lettres...

C’est le premier tome d’un diptyque et la suite, Le Cercle fermé, reprend le fil du récit dans les années 90.  Voilà un autre livre qu’il va falloir que je me procure au plus vite.

mardi 5 août 2014

Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse

Quelques jours avant la fermeture définitive du centre d'immigration d'Ellis Island en novembre 1954, John Mitchell, le directeur et dernier habitant du site, écrit un journal dans lequel il retrace sa vie à Ellis Island et les rencontres déterminantes qu'il a faites. Il évoque les souvenirs avec beaucoup d'émotion Liz son épouse et Nella, immigrante italienne, deux femmes qui ont bouleversé sa vie.

A travers le destin d'un individu, John Mitchell, c'est aussi un peu l'Histoire américaine que Gaëlle Josse évoque dans son roman. En effet, Ellis Island était l'entrée principale des migrants aux États-Unis et l'auteur parvient à merveille à évoquer leur arrivée, après de longs trajets éprouvants en bateau, leur misère, leur peur de se voir refuser l'entrée dans le pays de la Liberté, les contrôles avec le questionnaire de vingt-neuf questions, les mises en quarantaine, les épidémies qui ont tué des milliers de migrants... Ellis Island a également été un camp de prisonniers pendant et après la Seconde Guerre Mondiale et le rôle de John Mitchell a alors été différent, passant ainsi à gardien de prison.

Mais, Le dernier gardien d'Ellis Island, c'est aussi et surtout l'histoire d'un homme qui fait le bilan de sa vie et se retrouve face à ses choix, ses doutes et ses regrets. Il a connu l'Amour, la passion et a commis des erreurs dont il gardera des remords toute sa vie. Avec une écriture simple et fluide, Gaëlle Josse nous livre un beau récit, celui d'un destin bien humain plongé au cœur de l'Histoire américaine.

Mon seul regret sur ce texte est qu'il se lit trop vite. J'aurais aimé plus de récits d'immigrés, plus de personnages, plus de profondeur.

Extrait :

"Oui, c'est par la mer que tout est arrivé, par ces bateaux remplis de miséreux tassés comme du bétail dans des entrepôts immondes d'où ils émergeaient, sidérés, engourdis et vacillants, à la rencontre de leurs rêves et de leurs espoirs. Je les revois. On parle tout les langues ici. C'est une nouvelle Babel, mais tronquée, arasée, arrêtée dans son élan et fixée au sol. Une Babel après son anéantissement par le Dieu de la Genèse, une Babel de la désolation, du dispersement et du retour de chacun à sa langue originelle."

Pour compléter la lecture du roman, Gaëlle Josse a créé un site web très intéressant qui réunit photographies des immigrés d'Ellis Island et chansons autour de l'exil : http://derniergardienellis.tumblr.com/

Ce roman sera publié le 4 septembre 2014 aux éditions Noir sur blanc. Je les remercie beaucoup, ainsi que Babelio pour leur opération Masse critique.

vendredi 1 août 2014

Réparer les vivants de Maylis de Kerangal


Simon Limbres est un jeune adolescent, fougueux et plein de vie. Au retour d'une belle session de surf au petit matin, il est gravement blessé dans un accident de voiture. A l'hôpital, il est rapidement déclaré en état de mort cérébrale. De la douleur des parents de Simon à la patiente qui attend un cœur, en passant par les nombreux médecins et infirmiers qui jalonnent le roman, Maylis de Kerangal nous fait vivre le roman d'une transplantation cardiaque.

Maylis de Kerangal a une belle et puissante écriture, faite de longues phrases qui nous laissent à bout de souffle. Cette écriture se prête à merveille au sujet de son roman, un sujet fort, difficile. Ici la quasi totalité de l'intrigue se déroule dans des hôpitaux aseptisés, dans lesquels vont se croiser plusieurs personnages : les parents de Simon, le personnel médical qui s'occupe de lui, les docteurs venus prélever les organes, la patiente en attente d'un cœur. Du début à la fin, nous suivons le cœur de Simon et le roman semble rythmé par ses battements. Chaque personnage joue son rôle et est traité de façon égale : la douleur des parents de Simon ne l'emporte pas sur les pans de vie des docteurs et infirmiers que Maylis de Kerangal nous donne à voir. L'auteur réussit à traiter son sujet sans tomber dans le pathos ou le sentimentalisme et c'est appréciable. En plus, de nous donner à lire le récit précis d'une transplantation cardiaque, de l'accord des proches à l'acte chirurgical lui-même, c'est toute une galerie de personnages bien vivants et attachants, avec leurs doutes, leurs espoirs, leurs joies, qui peuplent ce roman et font de lui un chef-d’œuvre d'humanité.

Ce roman qui aborde la question douloureuse de la mort d'un jeune adolescent et du don d'organes mérite absolument les nombreux prix littéraires qui l'ont récompensé.