lundi 20 juillet 2015

La Perle et la coquille de Nadia Hashimi

Kaboul, 2007. Rahima est une jeune fille née dans un Afghanistan dirigé par les Talibans. Elle ne peut sortir de chez elle sans être couverte et accompagnée. Sa famille est pauvre et sa mère peine à les nourrir tous avec un mari accro à l'opium qui ne quitte guère la maison et aucun fils pour la seconder. Elle décide de faire de Rahima une bacha posh, c'est-à-dire de la travestir en garçon jusqu'à ce qu'elle soit en âge de se marier. Ainsi, Rahima jouit d'une plus grande liberté, peut sortir s'occuper des courses, aller à l'école et jouer au foot avec les autres garçons. Ayant goûté la liberté, le retour à sa condition de jeune fille n'en sera que plus dur. Alors pour se donner du courage, elle aime que sa tante lui raconte l'histoire de son arrière-arrière-grand-mère, Shekiba, qui à un siècle d'intervalle, a connu une situation similaire : travestie en homme, elle était garde du harem du roi.


La Perle et la coquille est un grand roman sur la condition des femmes afghanes. En racontant les vies de Rahima et Shekiba, on se rend compte que la situation a peu évolué en cent ans. Les femmes sont toujours soumises, elles appartiennent d'abord à leur père qui choisit de les marier, même très jeunes, et ensuite à leur mari. Elles doivent alors apprendre à vivre avec les autres femmes de leur mari, jalouses et parfois méchantes entre elles, et avec leur belle-mère, qui contrôle la maisonnée et n'hésite pas à donner des coups de canne dès qu'un détail ne leur convient pas. Leur rôle, en plus d'assurer toutes les corvées ménagères, est de mettre au monde des enfants, et surtout des fils. Gare à celles qui n'y parviennent pas rapidement, elles sont rejetées par leur belle-famille et ne peuvent pas toujours retourner auprès de leurs parents. Pour ces femmes qui manquent cruellement de liberté, il y a pourtant de l'espoir, avec les gouvernements et les temps qui évoluent, et surtout avec la détermination et le courage de femmes fortes comme Rahima et Shekiba et comme Khala Shaima, la tante de Rahima, qui ne cesse de clamer l'importance de l'éducation et de l'école pour les filles.

Avec Shekiba, on est plongés au cœur de l'Afghanistan du début du 20e siècle. Son histoire est terrible : enfant, la moitié de son beau visage est accidentellement brûlé, et elle est alors rejetée et moquée par tous, puis elle passe de main en main, offerte en cadeau. Par chance, elle parviendra à survivre et à devenir garde du harem du roi, et finira par connaître son plus grand bonheur, en devenant mère.

Avec Rahima, c'est l'Afghanistan actuel que nous découvrons. Rahima est une jeune fille dynamique qui souffre du manque de liberté et qui renait en devenant une bacha posh. Mais, elle finit par être mariée à treize ans à un seigneur de guerre et devra s'habituer à sa nouvelle vie et à ses devoirs de femme, car Allah en a décidé ainsi. Avec elle, on découvre également le Parlement, une vaste fumisterie, mais où les femmes ont un rôle important à jouer pour changer leur condition.

A travers ces deux histoires parallèles, c'est toute une vision de l'histoire de l'Afghanistan qui nous parvient. Femmes battues, violées, immolées, lapidées, détruites par la mort d'un enfant... rien ne nous est épargné. La plume de Nadia Hashimi est agréable et jamais ennuyeuse, les chapitres s'enchaînent sans aucun temps mort et on ne s'ennuie pas une seconde avec les histoires passionnantes de Rahima et Shekiba qui reflètent les vies secrètes des Afghanes d'hier et d'aujourd'hui.

J'ai découvert ce roman grâce à une Opération Masse Critique, merci à Babelio et aux éditions Milady !


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samedi 18 juillet 2015

Pietra viva de Léonor de Récondo

Souvenez-vous, j'avais adoré Rêves oubliés et Amours de Léonor De Récondo et m'étais promis de lire dès que possible Pietra viva. C'est chose faite et autant dire tout de suite qu'une fois encore, l'univers poétique de l'auteur m'a énormément séduite. 

Michelangelo, le célèbre artiste, s'enfuit à Carrare, tourmenté par la mort d'Andrea, un jeune moine dont il adorait la beauté singulière. Il s'y rend aussi car la ville est célèbre pour ses carrières et il doit choisir les marbres parfaits dont il se servira pour sculpter le futur tombeau du Pape Jules II. Se plongeant dans le travail pour oublier sa peine, une question le taraude pourtant tout au long du roman : de quoi est mort Andrea alors qu'il était vigoureux et jeune ?

Léonor de Récondo s'est inspiré de la vie réelle de Michel-Ange pour créer son personnage : sont évoqués ses célèbres œuvres comme la Pietà et le David, son amitié avec son mécène Laurent de Médicis, mais aussi des éléments plus intimes, comme son enfance, la mort de sa mère et son homosexualité. Ainsi, on suit Michelangelo à un moment précis de vie lorsqu'il a passé un an à Carrare pour y choisir les matériaux du tombeau du Pape.

Le Michelangelo romanesque de Léonor de Récondo est, au départ, un personnage peu engageant : il est arrogant et introverti, incapable semble-t-il de se confier et de s'attacher aux autres. Pourtant, au fil des rencontres, il s'ouvre petit à petit et on est touché par l'amitié qu'il porte à Cavallino, qui se prend pour un cheval, et à Michele, un petit garçon qui admire l'artiste. En fréquentant un milieu pauvre et modeste à Carrare loin des fastes de Rome, Michelangelo prend conscience des gens qui l'entourent, et, s'il continue à se sentir différent des autres, cherche à s'intégrer plus facilement.

Finalement, la question de la mort d'Andrea passe en arrière plan derrière deux éléments évoqués par Léonor de Récondo d'une façon qui ne peut laisser le lecteur insensible. Il y a d'abord l'amour bouleversant de Michelangelo pour la pierre

"A force de côtoyer leurs rires et la montagne, la fièvre de la pierre était entrée en lui et ne l'avait plus quitté. Elle était entrée comme un torrent. Ce qui l'intéressait, c'était de toucher les outils, les voler pour les utiliser à sa guise, mentir le plus dignement possible en disant que non, ce n'était pas lui. Prendre des bouts de pierre tombés ou délaissés par la tailleurs, jouer avec, les cogner les uns contre les autres, écouter la musique qui en résultait, l'imprimer dans son cœur afin de ne jamais l'oublier et, surtout, se dire qu'en apprenant à maîtriser la pierre, il apprendrait à maîtriser le monde, plus exactement à le sculpter au gré de son imagination, et Dieu sait s'il en avait."

Enfin, c'est le souvenir de sa mère qui refait surface après des années d'oubli qui vient occuper une place centrale dans le roman. Un souvenir retrouvé petit à petit grâce à un rire entendu, une odeur, une saveur... 

Tout le talent de Léonor de Récondo est là : elle a construit un magnifique portrait humaniste de Michel-Ange, rendant le célèbre artiste plus accessible et vivant.

Et comme j'aime bien voir de quoi on parle, voici en photo le tombeau du Pape Jules II réalisé par Michel-Ange :
Rome-Basilique San Pietro in Vincoli-Moise MichelAnge.jpg
« Rome-Basilique San Pietro in Vincoli-Moise MichelAnge » par Jean-Christophe BENOISTTravail personnel. Sous licence CC BY 3.0 via Wikimedia Commons.

Ce roman fait partie de ma PAL d'été pour le Challenge Destination PAL de Lili Galipette !

vendredi 10 juillet 2015

Mãn de Kim Thúy

Mãn de Kim ThúyEn vietnamien, Mãn signifie "parfaitement comblée", "qu'il ne reste plus rien à désirer" ou "que tous les vœux ont été exaucés". C'est le prénom de l'héroïne de ce récit qui retrace des événements de sa vie de femme. Pour lui offrir une meilleure vie, sa mère la marie à un Vietnamien exilé au Québec et propriétaire d'un restaurant. Épaulée par son amie Julie, Mãn anime des ateliers de cuisine vietnamienne qui la mène sur les chemins du succès et de la reconnaissance et lui font rencontrer Luc dont elle tombe amoureuse.

J'ai beaucoup aimé cette courte mais intense lecture dans laquelle les thèmes de l'exil et de l'amour interdit sont traités avec beaucoup d'émotion. On suit le parcours de cette femme calme, silencieuse et transparente, qui se révèle dans la cuisine, auprès de son amie Julie et auprès de Luc. De discrète et effacée, elle devient sensuelle et passionnée et renait dans les bras de son amant.

"Comme Luc, j'avais un mariage parfait jusqu'à ce qu'il dégage mes cheveux avec le dos de ses mains et hume le côté de mon cou en me demandant de ne pas bouger, sinon il tomberait, sinon il hurlerait."

L'écriture de Kim Thúy est douce et belle. Le livre se compose de très courts chapitres qui se succèdent et forment ainsi par petites touches un beau portrait de femme. L'amour, les enfants, l'amitié, la cuisine mais aussi les boat-people, la guerre, l'exil, les différences de culture, la difficulté d'adaptation, sont autant de thèmes évoqués dans ce texte. Le tout avec la pudeur propre à Kim Thúy qui m'avait déjà séduite avec Ru. A la fin, l'auteur partage avec nous quelques recettes de cuisine car "la nourriture est omniprésente dans la vie des Vietnamiens. C'est par la cuisine que l'on exprime l'affection, l'amour, la tendresse".

lundi 6 juillet 2015

Naufrages d'Akira Yoshimura

Isaku a neuf ans. Ainé de quatre frères et sœurs, il vit dans un petit village côtier du Japon, un village pauvre de pêcheurs, isolé par la montagne d'un côté, la mer de l'autre.
Alors que son père part se vendre hors du village pour travailler, Isaku devient l'homme de la famille chargé de nourrir les siens et subvenir à leurs besoins.
Comme les autres villageois, il pêche par tous temps mais se voit aussi confier une mission importante : la cuisson du sel. Les pêcheurs peuvent échanger ce sel avec les villages voisins contre d'autres denrées. Pourtant, ce n'est pas le but premier de cette mission primordiale. Lorsque surviennent mauvais temps et tempêtes qui déchainent la mer, les feux allumés la nuit sous les chaudrons de sel deviennent de terribles phares vers lesquels se dirigent les bateaux en difficulté pensant trouver refuge. Mais, ils se brisent sur les rochers invisibles et les villageois se chargent d'achever les survivants pour récupérer leur précieuse cargaison : nourriture, vêtements, ustensiles... qui viennent considérablement améliorer la vie des villageois.

Naufrages est un conte assez sombre et cruel mais pourtant, en lisant l'histoire de ces villageois pauvres et démunis, on comprend, sans accepter, leurs terribles actes. Car la survie du village dépend de cet horrible stratagème mis en place depuis des générations. Ces villageois vivent au jour le jour au rythme des changements de saisons. Ils pêchent maquereaux, poulpes et autres poissons, tout ce que la mer veut bien leur donner. Mais parfois, les temps sont rudes et les pêches moins bonnes. La famine est une situation qu'ils connaissent souvent. L'arrivée d'un bateau échoué et de sa cargaison est une bénédiction pour eux, une fête, l'occasion de vivre mieux.

Naufrages est aussi un roman d'apprentissage, dans lequel on suit le personnage d'Isaku sur plusieurs années. Isaku est élevé à la dure et obligé de grandir plus vite suite au départ de son père. Sa mère le rudoie sans cesse et il doit faire ses preuves, apprendre seul ou auprès de son cousin Takichi les différentes sortes de pêches, et montrer qu'il est capable de prendre soin des siens. Son apprentissage n'est pas sans échec et l'on ne peut qu'être touché par cet enfant qui a déjà une volonté de fer et des responsabilités d'homme. Homme en devenir, il est également de plus en plus troublé par la belle Tami dont il est amoureux.

Avec une belle écriture et un style simple et épuré, Akira Yoshimura nous embarque dans un Japon primitif, qui fait rêver avec ses sublimes paysages, malgré la noirceur et la cruauté de l'histoire racontée.