mercredi 24 décembre 2014

La fille sur le coffre à bagages de John O'Hara


A New-York, pendant la Prohibition, James Malloy, le narrateur, est attaché de presse pour une société cinématographique. Son patron le charge d'accompagner Charlotte Sears, dite Chottie, c'est-à-dire d'être son chauffeur et, si besoin, son cavalier. Chottie est une actrice sur le déclin, car la trentaine passée, on ne lui propose plus beaucoup de rôles. Malloy découvre aussi qu'elle est la maîtresse de Thomas Hunterden, un riche et mystérieux homme d'affaires lié à la pègre. De bars clandestins en soirées mondaines, nous voici embarqués dans le monde terrible du show-biz...

Autant le dire tout de suite, j'ai été assez déçue par ce très court roman. En effet, si le style de l'auteur, que l'on surnomme le "Balzac américain" est agréable, l'histoire en elle-même manque terriblement de profondeur. Les personnages sont fades : passe encore Chottie Sears dans le rôle d'une actrice passée de mode mais que dire de ce James Malloy qui tombe amoureux toutes les cinq minutes et de ce Thomas Hunterden, personnage qui aurait pu être complexe mais dont le mystère est carrément sous-exploité. On a  affaire à une succession de dialogues entre les personnages, et même si certaines répliques sont bien tournées, il manque l'ambiance, qu'on imagine folle, de New-York des années 1920 et le portrait qui en est fait est très peu développé. Même la description du monde du cinéma à cette époque manque d'épaisseur. A cause de l'insuffisance de descriptions, je ne suis pas vraiment rentrée dans le roman. Et, je cherche encore le rapport avec le titre du roman, surtout que le titre original est Sermons and soda-water.

mardi 16 décembre 2014

Du domaine des Murmures de Carole Martinez

Nous sommes en 1187. Esclarmonde a quinze ans lorsque son père, le châtelain du domaine des Murmures, décide de la donner en mariage à Lothaire, fils d'un puissant voisin. Mais Esclarmonde refuse et, en pleine cérémonie, se tranche une oreille et affirme son vœu de se donner au Christ. Elle exige alors que l'on construise une chapelle de pierre aux Murmures et qu'on y aménage une tombe pour y être enfermée jusqu'à sa mort. Elle devient une sainte que des pèlerins viennent sans cesse visiter et obtient ainsi une certaine influence lui permettant d'agir sur le monde depuis sa tombe. Lorsqu'elle accouche d'un petit garçon dans sa tombe, c'est le début d'une renommée importante - on ne peut que la comparer à la Vierge Marie - mais aussi celui de sa vie de mère, qui la pousse bien sûr à se demander si elle a fait le bon choix...

J'ai aimé Esclarmonde, un personnage fort et une femme très moderne pour son temps, radicale dans ses actes et ses paroles. Elle est féministe avant l'heure, s'élevant contre le sort fait aux femmes à son époque, soumises d'abord à leur père et ensuite à leur mari. Elle est admirable, indépendante, capable de prendre des décisions par elle-même mais également d'influer sur les gens qui l'entourent. C'est elle qui pousse son père à partir en croisade en Terre sainte et, c'est au travers des visions qu'elle a, qu'on suit le terrible destin des croisés. C'est ainsi que le lecteur ne reste pas cloitré dans une prison de pierre, mais voyage aussi dans le monde au Moyen Âge. Lorsqu'elle devient mère, on ne peut être que touché par l'amour qu'elle porte à son fils mais aussi, au déchirement de leur séparation, car son fils Elzéar ne pourra rester auprès d'elle que tant qu'il parvient à passer les barreaux de sa prison.

Côté écriture, on a affaire ici à une narration du point de vue d'Esclarmonde qui s'exprime directement au lecteur, auquel elle raconte son histoire. L'avantage est de nous plonger directement dans le monde d'Esclarmonde, mais j'avoue ne pas être une adepte de la narration à la première personne, qui finit parfois par être un peu lourde. Autre point qui m'a un peu déplu, ce sont les dialogues pas toujours très crédibles : on peine à imaginer une servante s'exprimer de la même manière que sa maîtresse. Mais c'est un point de détail car j'ai globalement apprécié l'écriture de Carole Martinez, ses envolées lyriques et épiques, ses belles descriptions très imagées qui nous transportent du domaine des Murmures jusqu'en Terre Sainte et font de ce roman un beau conte.
 
Extrait : Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi.

mardi 9 décembre 2014

La Maison dans l'arbre de Mitsuyo Kakuta

À la mort de son grand-père, Yoshitsugu réalise qu’il ne sait rien de sa famille. Dans le restaurant de ses parents au cœur du quartier de Shinjuku à Tokyo, certaines choses ne se racontent pas.

Lors des funérailles de son aïeul, de vieux amis fredonnent soudain un chant évoquant une terre balayée par le vent. Et une tante jusqu’alors silencieuse lui révèle que ses transparents ont un jour vécu en Mandchourie.

C’est ainsi que Yoshitsugu décide, à la demande de sa grand-mère, de refaire le voyage, de l’accompagner sur les traces d’un passé effacé. Et c’est pour lui l’opportunité singulière de découvrir le destin de son pays, cet archipel jadis embarqué dans la dangereuse aventure qui consistait à réaliser “l’Harmonie au sein de la Grande Asie”.



A la mort de son grand-père, Yoshitsugu s'aperçoit que sa famille n'est pas comme les autres. Il avait déjà quelques doutes sur la normalité de sa maison où vivent ses grands-parents, ses parents et son oncle au chômage et où la frontière entre le restaurant qu'ils tiennent et leur maison est presque inexistante, causant ainsi un remue-ménage constant. Mais, à la mort du grand-père, il se rend compte qu'il connait très peu de choses sur la vie de ses grands-parents et qu'ils n'ont même pas de tombe des ancêtres sur laquelle toutes les familles japonaises "normales" vont se recueillir. Comme si avant les grands-parents, il n'y avait rien eu, pas de parents, pas de frère ni de sœur. Alors qu'il s'interroge, il apprend par sa tante Kyoko que ses grands-parents se sont connus et mariés en Mandchourie. Yoshitsugu décide alors de partir en Mandchourie avec sa grand-mère, pour qu'une dernière fois avant de mourir, elle revoit le pays dans lequel elle a passé une partie de sa vie.

Avec La Maison dans l'Arbre, Mitsuyo Kakuta nous offre un voyage dans un pan de l'histoire du Japon. On commence avec la génération des grands-parents, qui quittent le Japon dans les années 1930, pour la Mandchourie (envahie par le Japon pour constituer l'avant-poste de l'occupation japonaise en Chine). Le gouvernement, après la crise économique de 1929, vante les qualités de la Mandchourie, les terres agricoles abondantes et le travail qu'on y trouve. Une aubaine pour tous les jeunes Japonais qui ne savent que faire dans leur pays étroit et cherchent à se construire une nouvelle vie. Viennent ensuite la Seconde Guerre Mondiale et l'Union Soviétique attaque les Japonais en Mandchourie. Les grands-parents décident alors de rentrer au Japon, avec leur enfants en bas âge, et le voyage se fait dans des conditions atroces. A nouveau, ils doivent repartir à zéro et se construire une nouvelle vie. Viennent ensuite des périodes de pleine croissance ou de récession qui impactent la vie de la famille. On suit également Shinnosuke, le père de Yoshitsugu, qui traverse d'autres périodes marquantes de l'histoire japonaise, notamment l'année 1968 et les mouvements étudiants.

La Maison dans l'arbre est donc un roman qui nous plonge dans l'histoire, parfois méconnue, du Japon, mais aussi dans celle d'une famille. Une famille d'ailleurs très particulière qui m'a déroutée au début du roman. Personne ne pleure la mort du grand-père, les membres de la famille semblent peu attachés les uns aux autres. C'est à travers les yeux de Yoshitsugu qu'on entrevoit la vie de cette famille, et lui-même se pose des questions sur ses grands-parents, parents, oncle et tante, frères et sœurs qui semblent tous fuir leurs responsabilités et se laisser vivre, se laisser porter par les événements. Lui-même est ainsi et l'histoire de ses grands-parents qu'il découvre en allant en Mandchourie semble être l'occasion de se reprendre en main. Avec ce roman, on aperçoit également ce que peut-être la société japonaise d'aujourd'hui, et notamment la vie des jeunes adultes.

Avec La Maison dans l'arbre, on suit l'histoire de trois générations d'une famille japonaise et l'histoire du pays du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui. On y voit comment les événements historiques d'un pays touche les membres d'une famille et, si j'ai eu un peu de mal à comprendre le fonctionnement de cette famille au tout début, je me suis ensuite passionnée pour leur histoire.

vendredi 5 décembre 2014

Le Complexe d'Eden Bellwether de Benjamin Wood

Cambridge, de nos jours. Au détour d’une allée de l’imposant campus, Oscar est irrésistiblement attiré par la puissance de l’orgue et des chants provenant d’une chapelle. Subjugué malgré lui, Oscar ne peut maîtriser un sentiment d’extase. Premier rouage de l’engrenage. Dans l’assemblée, une jeune femme attire son attention. Iris n’est autre que la sœur de l’organiste virtuose, Eden Bellwether, dont la passion exclusive pour la musique baroque s’accompagne d’étranges conceptions sur son usage hypnotique… 
Bientôt intégré au petit groupe qui gravite autour d’Eden et Iris, mais de plus en plus perturbé par ce qui se trame dans la chapelle des Bellwether, Oscar en appelle à Herbert Crest, spécialiste incontesté des troubles de la personnalité. De manière inexorable, le célèbre professeur et l’étudiant manipulateur vont s’affronter dans une partie d’échecs en forme de duel, où chaque pièce avancée met en jeu l’équilibre mental de l’un et l’espérance de survie de l’autre.

Ce livre m'intriguait beaucoup. Premier roman du britannique Benjamin Wood, il a de très bonnes critiques et a reçu le Prix du Roman Fnac 2014. C'est pourquoi, lorsque PriceMinister l'a proposé dans ses matchs de la rentrée littéraire, je n'ai pas beaucoup hésité avant de le choisir. 

Le résumé annonçait un roman avec une intrigue complexe, de quoi passer un très bon moment. Oscar est un jeune homme qui vit seul, à proximité du campus de la fameuse université de Cambridge. Aide-soignant dans une maison de retraite, il s'occupe des résidents avec ferveur et s'est notamment pris d'affection pour le Dr Paulsen, ancien professeur de lettres et chargé de cours à King's College. Oscar mène une vie tranquille et solitaire, sans ambition particulière. Un soir, en passant devant la chapelle de King's College, il est comme happé par la beauté de la musique de l'orgue et est mystérieusement attiré à l'intérieur. C'est alors qu'il rencontre Iris, une jeune étudiante en médecine, et son frère Eden, qui n'est autre que l'organiste talentueux. Cette rencontre décisive va bouleverser la vie d'Oscar, qui tombe rapidement amoureux de la jeune fille. Mais il devra s'adapter à un monde bourgeois qui n'est pas le sien et s'intégrer dans un groupe d'amis, tous étudiants. Il devra surtout faire avec la personnalité singulière et envahissante d'Eden et l'emprise mystérieuse que ce dernier semble avoir sur sa sœur Iris et sur ses amis. 

Eden est un personnage complexe, complètement narcissique, persuadé d'être capable d'hypnotiser et même de guérir grâce au pouvoir de sa musique. Tous, famille et amis, semblent graviter autour de lui et Eden agit presque comme un gourou. Tout l'oppose à Oscar, jeune homme normal et modeste. En tant qu'observateur extérieur, Oscar ne cesse de se poser des questions sur les capacités d'Eden, jusqu'à les remettre en question. Il ne sait quoi croire face aux phénoménales démonstrations d'Eden et choisit alors de le confronter à Herbert Crest, spécialiste reconnu des troubles de la personnalité et ancien ami du Dr Paulsen. Un jeu de pouvoir commence et Oscar, Iris et leurs amis risque d'en être les malheureuses victimes.

Eden Bellwether est-il totalement fou ou incroyablement génial ? C'est ce que je n'ai cessé de me demander pendant ma lecture, tout comme Oscar. C'est là le talent de l'auteur qui réussit à nous tenir en haleine avec pourtant peu d'action. Benjamin Wood a créé des personnages attachants, tous intéressants et différents. On ne peut être que touché par le Dr Paulsen qui se voit vieillir et perdre ses facultés physiques et mentales sans pouvoir rien y faire et par l'amitié qui lie avec Oscar. Et comment ne pas éprouver de compassion pour Iris, qui a grandi derrière la personnalité extravagante de son frère ? C'est bien sûr le duel entre Eden et Oscar qui occupe le devant de la scène pour notre plus grand plaisir.

Le Complexe d'Eden Bellwether est un excellent premier roman, bien écrit, à l'intrigue très bien maitrisée, et je l'ai dévoré d'un bout à l'autre avec un plaisir jamais déçu !

lundi 1 décembre 2014

Petits oiseaux de Yôko Ogawa

Petits oiseaux est l'histoire d'un homme, surnommé "monsieur aux petits oiseaux" dans le quartier, mais que personne ne connaît vraiment. Retrouvé mort serrant une cage contenant un oiseau à lunettes, Yôko Ogawa nous relate sa vie en commençant par son enfance auprès de sa mère et son frère aîné. Il est le seul à pouvoir communiquer avec ce frère étrange mais attachant, qui ne parle que la langue pawpaw, le langage des oiseaux oublié depuis longtemps par les hommes. Après la mort de leur mère, les deux frères continuent à vivre ensemble. Le monsieur aux petits oiseaux devient régisseur d'une belle propriété et son frère passe de longs moments seul à observer les oiseaux d'une belle volière dans le jardin d'enfants à proximité. Il sait tendre l'oreille et écouter avec toute l'attention requise le chant des oiseaux comme s'il les comprenait.
En plus de son travail de régisseur, la directrice du jardin d'enfants confie l'entretien de la volière à notre monsieur aux petits oiseaux, ce qui va lui valoir son surnom affectueux donné par les enfants. Il effectue cette tâche avec détermination, efficacité et rigueur. 
La vie des deux frères est très calme et toute réglée. Parfois, ils s'organisent des voyages imaginaires, préparant leurs bagages avec beaucoup d'entrain mais ne vont jamais plus loin que la volière. 

Petits oiseaux est un beau roman dans lequel il ne passe pas grand chose, disons-le, mais qui est empreint de poésie et de douceur. On tombe facilement sous le charme de cette tranquillité et on s'attache au très réservé monsieur aux petits oiseaux qui mène une vie très humble, simple et banale. D'année en année, les choses changent, le monsieur aux petits oiseaux vieillit, nous touchant par son extrême solitude. Ce sont les quelques rencontres qu'il fait qui ponctuent le récit et marquent certaines périodes de sa vie : la directrice du jardin d'enfants qui lui confie la tâche importante de sa vie, la bibliothécaire qui lui offre ses premiers émois, un vieux monsieur et son étrange boite à grillon... Les oiseaux occupent toute la vie ou presque des deux frères et leur relation est touchante. Petits oiseaux est un roman qui a su m'émouvoir grâce à la belle écriture de Yôko Ogawa et les thèmes évoqués.

Extrait : A ce moment-là se produisit un chant plus fort et bien distinct. Comme à un signal plusieurs oiseaux battirent des ailes, tandis que les quelques autres qui restaient couraient de long en large sur le perchoir. Quelle que soit son espèce, dès qu'un oiseau étend ses ailes, il paraît étonnamment grand. Au point que l'on peut se surprendre à se demander où il pouvait bien cacher quelque chose d'aussi grand dans son corps. Sous ses ailes se dissimule quelque chose dont on n'avait pas idée, se dit-on. En même temps on est surpris de découvrir à quel point paraissent vieilles les pattes qui vont et viennent sur le perchoir. En comparaison des plumes douces, du bec corné et de l’œil vif, ces pattes décharnées, nues et d'une pâle couleur chair, avec des protubérances ici ou là, ont l'air bien vieux.