vendredi 27 avril 2012

Olive Kitteridge d'Elizabeth Strout

Olive Kitteridge est un livre composé de treize nouvelles mettant en scène les habitants d'une petite ville du Maine, à notre époque. On suit ces différents personnages, tour à tour, alors que l'auteure retrace une partie de leur vie. Dans chaque nouvelle, apparaît le personnage d'Olive Kitteridge, soit en tant que personnage principal, soit en tant que personnage secondaire ou faisant même une simple apparition. 

Olive n'est pas une héroïne traditionnelle : c'est une vieille dame,  plutôt grosse, plutôt méchante et en tout cas pas très aimable avec son mari Henry et ceux qui la connaissent. Ses anciens élèves se souviennent d'elle  comme d'une enseignante tyrannique, mais pouvant faire preuve de fugitifs élans de gentillesse. Très possessive, elle entretient une relation complexe avec Christopher, son unique fils, surtout depuis qu'il a décidé de partir avec sa nouvelle femme en Californie, loin de ses parents. Au fur à mesure que les nouvelles s'enchaînent, on apprend des éléments sur la vie pas toujours facile d'Olive. On se rend compte qu'elle est capable de se montrer pleine de bonté et d'amour, et de secourir les habitants de sa ville, à sa manière. Alors, on s'attache au personnage et on apprécie plus encore les nouvelles dont elle est l'héroïne.

En effet, les nouvelles mettant en avant le personnage d'Olive ont été mes préférées. J'ai bien aimé les autres, notamment la toute première, qui est écrite du point de vue d'Henry, le mari d'Olive, mais certaines sont un peu longues et m'ont moins intéressée. Si certains personnages ne manquent pas de psychologie et par là-même sont attachants, d'autres ne m'ont pas beaucoup marquée et se confondent dans la multitude de personnages peuplant les nouvelles d'Elizabeth Strout.

Ce recueil de nouvelles est remarquable dans sa construction et les histoires suivent un ordre chronologique, ce que l'on note avec les détails sur les changements dans la vie d'Olive, véritable point repère. J'ai également bien aimé l'écriture d'Elizabeth Strout, simple et très juste. Olive Kitteridge a remporté le Prix Pulitzer en 2009.

Ce livre fait partie de la sélection littérature du mois d'avril pour le Prix des Lecteurs - Livre de Poche !




mercredi 25 avril 2012

Swap du printemps !

J'ai participé à mon tout premier swap, organisé par Lili du blog "La petite marchande de prose" et la thématique, c'était le printemps, puisqu'on est en plein dedans, malgré ce que la météo semble vouloir nous faire croire ces temps-ci. 
Alors c'est génial, on remplit un questionnaire sur nos goûts, on reçoit celui de notre binôme et en avant pour la recherche de livres, gourmandises et autres surprises printanières ! Ma binômette, c'est Charline, qui habite en Belgique et qui m'a constitué un magnifique colis rempli de surprises. Seulement voilà, dans la catégorie "j'ai pas de chance avec la Poste", ce colis s'est perdu en route. Il faut dire qu'entre la Belgique et Marseille, il y a du chemin, mais quel gâchis pour Charline qui avait pris le temps (et l'argent !) de confectionner ce colis. Mais comme c'est une personne formidable que je suis très contente d'avoir "rencontrée", elle a tenu à m'envoyer un deuxième colis ! Et ce n'est pas tout, car Lili, organisatrice du Swap, m'a également fait parvenir un colis de "dédommagement" pour fêter dignement le printemps malgré ses aléas. 

Les voici donc en photos :


Le colis envoyé par Lili : 
- deux livres : Neige de Printemps de Yukio Mishima (premier tome de La Mer de la Fertilité) et Les Fleurs bleues de Raymond Queneau (qui était d'ailleurs dans le fameux colis perdu)
- des bougies parfumées au bubble gum et à la guimauve (qu'est-ce que ça sent bon !) et des petites billes parfumées
- du chocolat Milka - Oreo : là je crois que je vais me régaler !!!
Le tout emballé avec beaucoup de soin et accompagné d'une très joli carte !



Le colis envoyé par Charline (désolée pour la photo un peu floue) :
On change de thématique et on embarque avec Marguerite Duras pour mon plus grand plaisir. Il y a d'abord deux livres d'entretien, Les lieux de Marguerite Duras de Michelle Porte et Entretiens avec Marguerite Duras de Jean-Pierre Ceton, car Charline a raison, rien de mieux pour découvrir un auteur et son œuvre ! Le troisième livre, c'est Hôpital silence suivi de l'attente de Nicole Malincolini, une auteure belge que j'ai hâte de découvrir et dont le livre est préfacé par une lettre de Duras elle-même. Et j'accompagnerai mes lectures d'une grande tasse de thé vert aux fleurs de cerisiers, qui est divinement bon ! Le tout dans de très jolis paquets colorés et accompagnés d'une lettre, dans laquelle j'ai pu découvrir la belle écriture de Charline.

Merci beaucoup Charline et Lili pour votre extrême gentillesse, je suis très gênée et très heureuse à la fois ! Grâce à vous, je vais me régaler de livres et de gourmandises !

Vous pouvez aller voir ici et ici les autres colis des participants du Swap du printemps.

vendredi 20 avril 2012

Les années douces de Taniguchi et Kawakami - Tomes 1 et 2

Tsukiko, trentenaire, vit seule lorsqu'elle rencontre un de ses anciens professeurs, plus âgé, dans l'habituel troquet qu'elle fréquente après son travail. S'ensuit une suite de rencontres et rendez-vous plus ou moins voulus, entre Tsukiko et celui qu'elle appelle le Maître, qui vont donner naissance à une affection profonde et sincère.

Quel plaisir de retrouver Tsukiko et son Maître, cette fois-ci dans un manga en deux tomes ! L'adaptation est fidèle et les chapitres correspondent à ceux du roman, c'est-à-dire un chapitre par rencontre ou promenade avec le Maître (excepté les deux derniers qui sont adaptés d'une courte et très jolie histoire d'Hiromi Kawakami publiée séparément, mais avec les mêmes personnages). On retrouve les mêmes situations et certains dialogues, accompagnés cette fois-ci des attitudes physiques des personnages, notamment des réactions du visage que le mangaka a su rendre très réalistes. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé le trait, fin et élégant, de Taniguchi qui illustre à merveille l'atmosphère que j'avais ressenti en lisant le roman : un sentiment épuré, simple, pudique, une douce et délicate mélancolie. J'ai beaucoup aimé voyagé dans le Japon d'Hiromi Kawakami, dessiné par Taniguchi, entre les repas dans les bars (toutes ces spécialités me donnent très envie) où le saké coule à flot et, les promenades à la fête des cerisiers ou en forêt pour la cueillette des champignons. Ce très beau manga m'a donné envie de replonger dans le roman !

Quelques images pour mieux se faire une idée :





Avec ce manga, je participe au challenge Dragon 2012 de Catherine !


mardi 17 avril 2012

Les Radley de Matt Haig

Les Radley sont une famille de vampires, qui semble tout à fait normale et installée dans une banlieue anglaise très respectable. Les parents, Peter et Helen, ont choisi d'être abstinents (de ne plus consommer de sang humain) et ont caché leurs origines à leurs enfants, Rowan et Clara. Mais voilà, alors qu'elle se fait agresser par un camarade d'école, les instincts naturels de Clara se réveillent et elle tue et boit le sang du jeune homme. Peter et Helen, contraints de révéler la vérité à leurs enfants, vont tout faire pour cacher ce meurtre, quitte à faire appel à Will, un vampire pas du tout abstinent...

Dès le début, ce roman publié en Angleterre en 2010 m'a rappelé Malavita de Tonino Benacquista (2004), sauf qu'à la place d'une famille de repentis mafieux, on a ici une famille de vampires abstinents installés en banlieue tranquille, cachant un lourd secret et faisant tout pour paraître normaux, malgré l'ennui qu'ils en ressentent. Car pour des vampires abstinents, la vie n'est pas si facile, les tentations sont monnaie courante et ils ne sont pas à l'abri d'une attaque soudaine de SSI (Soif de Sang Irrépressible). De plus, leur régime sans sang leur ont fait perdre leurs pouvoirs et les ont rendus plus faibles, surtout le fils, Rowan, atteint d'un eczéma chronique dû au soleil et sans cesse persécuté par ses camarades d'école. Quand les enfants apprennent qu'ils sont en fait des vampires et que leurs parents leur ont menti pendant toute leur vie, un choix difficile s'impose : rester abstinent ou accepter d'être un vampire en quête de sang humain. Sans compter que leur oncle Will, tueur sanguinaire aux forts pouvoirs de persuasion et de manipulation, fera tout pour les convertir et surtout pour récupérer Helen, la femme de sa vie...

Dans ce roman, Matt Haig modernise ses vampires : s'ils n'aiment pas du tout le goût de l'ail, ils peuvent par exemple vivre au soleil (avec un bon écran total) et ont un reflet dans les miroirs. Leur existence n'est pas connue de la population, mais une section spéciale vampires de la Police est en contact avec l'élite des vampires, pour s'occuper de tout problème, notamment les meurtres. Les vampires pratiquants doivent se restreindre à ne tuer que des êtres marginaux (SDF, personne sans famille etc.) et peuplent les bars vendant du sang de vampire en bouteille (meilleur que le sang humain et qui se conserve mieux). Matt Haig insère dans son récit tout ses détails et d'autres encore, rendant ainsi l'histoire "réaliste" et en tout cas, pas totalement farfelue.

Au final, l'histoire m'a plu, mais sans plus, car elle manque un peu d'originalité et les situations sont parfois attendues. Les personnages ne sont pas très attachants, et ces vampires, peut-être trop modernisés justement, manquent de mystère et de "sex-appeal". Mais rien à reprocher au style du l'auteur, qui est fluide et plaisant et Matt Haig n'oublie pas de saupoudrer d'un peu d'humour son récit, ce qui fait que j'ai quand même passé un bon petit moment en compagnie des Radley.

Extrait : 

Il est parfaitement possible d'habiter à côté d'une famille de vampires sans jamais soupçonner que ceux que vous appelez vos voisins ont peut-être le désir secret de vous sucer le sang.
C'est surtout probable si la moitié des membres de ladite famille ne se sont jamais doutés de rien. Et s'il est vrai qu'aucun des occupants du 19 Orchard Lane n'a compris qui étaient leurs voisins, certaines notes discordantes avaient rendu les Felt perplexes au fil des années.
Par exemple, la fois où Helen avait peint le portrait de Lorna, un nu, à l'insistance de Lorna - et où Helen avait dû sortir de la pièce en courant quelques secondes après avoir aidé Lorna à dégraffer sa bretelle de soutien-gorge ("Pardon, Lorna, j'ai une vessie capricieuse").
Ou un autre jour, à un barbecue chez les Felts, où Mark, en retournant dans la cuisine, avait trouvé Peter, qui s'y était réfugié pour éviter la conversation des voisins sur le sport, en train de sucer un filet de boeuf cru dans la cuisine ("Ah, mon Dieu, il n'est pas cuit, que je suis bête !").


Ce livre fait partie de la sélection Littérature du Prix des Lecteurs Livre de Poche d'avril.

 

jeudi 12 avril 2012

La ballade de Lila K de Blandine Le Callet

Dans un futur pas si lointain, Lila, toute jeune enfant, est violemment enlevée à sa mère par des hommes en noir. Elle se retrouve au Centre, sorte de pensionnat carcéral, où elle réapprend à marcher et parler, où elle est nourrie de force et où elle subit de nombreux examens médicaux. Elle est filmée 24h/24 et ses moindres gestes sont surveillés. Lila grandit au centre et ,si elle ne se souvient plus de sa vie antérieure, elle n'oublie jamais sa mère, qui réside peut-être encore dans ce qu'ils appellent la Zone, cet espace extra-muros, où la violence et la pauvreté font des ravages.

Dans ce futur proche, plus personne ne lit de livres car ils sont accusés de déclencher de graves allergies par le contact du papier. Tout le monde a un "grammabook", sorte de liseuse électronique du futur, et tous les documents imprimés, journaux et livres, sont numérisés un à un, après avoir été contrôlés et censurés s'il le faut. L'Histoire est réécrite et la Zone et ses émeutes sont présentées sous leur plus mauvais aspect. Tout le monde est surveillé, les naissances sont contrôlées et doivent d'abord être acceptées par les autorités. Tous ou presque ont subi des opérations de chirurgie esthétique, plus ou moins réussies, pour gommer la moindre ride. Enfin, d'étranges d'êtres ont fait leur apparition : les chimères, moitié-humain, moitié-animal, issues d'expériences scientifiques ratées, mais aussi de magnifiques chats dont le pelage multicolore varie au fil des saisons.

En grandissant, Lila devient une belle jeune fille, intelligente, mais asociale et refusant le moindre contact physique, qui n'a de cesse de retrouver sa mère à laquelle elle a été arrachée. Heureusement, dans ce monde chaotique, Lila rencontre des personnes qui vont l'aider à se construire : M. Kauffman, le directeur du centre lui fait découvrir les livres (imprimés). Milo Templeton, le directeur de la Grande Bibliothèque, la prend sous son aile à sa sortie du Centre et devient son ami. Chaque rencontre qu'elle fera, dans le centre et à l'extérieur, lui apporteront toutes quelque chose et l'aideront à avancer.

La ballade de Lila K est donc une dystopie (une contre-utopie) aux aspects de roman initiatique, représentant Paris aux alentours des années 2100. J'ai d'ailleurs aimé retrouver certains éléments du paysage urbain parisien : la Grande bibliothèque et ses quatre tours, dont une a été détruite pendant des émeutes, rappelle bien évidemment le site François-Mitterrand de la BnF. Il y a aussi la coulée verte, le périphérique etc.

Au final, j'ai bien aimé ce roman qui reprend, sans beaucoup d'originalité d'ailleurs, les codes de la science-fiction dystopique. Je ne l'ai pas trouvé aussi abouti que d'autres dystopies que j'ai lues, comme Auprès de moi toujours, ou encore, mais dans une moindre mesure, 1Q84. J'ai trouvé que le monde futuriste décrit manquait de profondeur et de détails : on reste à Paris et on ne sait pas trop ce qu'il se passe ailleurs. J'ai aussi été un peu déçue par la résolution du mystère sur la disparition de la mère de Lila mais je n'en dirai pas plus pour ne pas tout dévoiler...

Extraits :

** Quand je suis arrivée dans le Centre, je n'étais ni bien grande, ni bien grosse, ni en très bon état. Ils ont tout de suite cherché à me faire manger. Me faire manger, c'était leur obsession, mais c'était trop infect. Chaque fois qu'ils essayaient, je détournais la tête en serrant les mâchoires. Lorsqu'ils parvenaient malgré tout à me glisser une cuillerée dans la bouche, je la recrachais aussitôt. Plusieurs fois j'ai vomi, de la bile et du sang. C'est écrit sur le rapport.
Finalement, ils m'ont attachée sur mon lit, puis ils m'ont enfoncé une sonde dans le nez, m'ont nourrie par là. On ne peut pas dire que c'était confortable, mais enfin, c'était mieux qu'avaler leurs immondices.**

**Quand j'ai eu terminé tous les livres contenus dans la caisse - des contes, des romans, des albums illustrés, plusieurs essais d'histoire et de sociologie, des poèmes en latin, et un traité d'architecture -, M. Kauffmann les a remportés, et m'en a prêté d'autres. Je les ai dévorés avec le même plaisir, la même frénésie. Ils n'avaient pas tous à mes yeux un égal intérêt, mais au fond, c'était sans importance. Je me moquais un peu du contenu des livres. ce que je recherchais, surtout, c'est le pouvoir qu'ils m'accordaient. J'arrivais grâce à aux à m'abstraire de ma vie. J'oubliais le Centre, sa routine et son lot de contraintes épuisantes. J'oubliais qu'on m'avait confisqué ma maman. J'étais ailleurs, loin du monde, loin de moi. C'est parfois reposant de se perdre de vue.**


Pour aller plus loin, notamment sur l'aspect SF de La ballade de Lila K, je vous invite à aller lire les deux très bons billets de Cachou et Jostein ainsi que les commentaires de ce billet.

Ce roman fait partie de la sélection d'avril du Prix des Lecteurs - Livre de Poche.


jeudi 5 avril 2012

Manazuru d'Hiromi Kawakami

Sur un coup de tête, Kei décide de se rendre à Manazuru, petite station balnéaire. Son mari, Rei, a disparu depuis dix ans sans qu'elle sache s'il est mort ou vivant. Kei vit avec sa fille Momo et sa mère, et entretient une relation avec Seiji, un homme marié. Se retrouver seule au bord de l'eau à Manazuru va être l'occasion de revenir sur sa vie passée avec Rei pour tenter de découvrir la vérité qui se cache en elle. L'occasion enfin d'aller de l'avant.

J'ai tout d'abord été surprise par les éléments fantastiques, surnaturels qui parcourent le récit. En effet, Kei n'est pas une femme tout à fait comme les autres : elle est parfois suivie par des ombres, elle ressent des présences et voit des choses que les autres ne voient pas. Elle n'a jamais parlé à personne de ce phénomène. A Manazuru, c'est une ombre, qui se révèle être une femme, qui la suit et qui avoue connaitre Rei, son mari. Celle-ci va pousser Kei à repenser à Rei, à chercher dans ses souvenirs, à relire le journal intime de son mari pour y trouver une raison à son départ. Et sur son journal, apparaît le nom de Manazuru... Peut-être est-ce pourquoi Kei se sent attirée par cette ville au point d'y retourner plusieurs fois, seule ou avec sa fille.

Aller à Manazuru, c'est aussi l'occasion pour Kei de revenir sur la relation compliquée avec sa fille arrivée à un âge où elle se pose des questions sur son père. Kei voit avec douleur sa fille s'éloigner d'elle sans qu'elle puisse y faire grand-chose. Elle voit également sa propre mère vieillir et prend conscience qu'elle n'est pas éternelle. Enfin, elle s'interroge sur sa relation avec Seiji, cet homme marié et père de trois enfants, relation qui dure depuis des années, bien plus finalement que son propre mariage avec Rei.

Comme dans les deux autres romans d'Hiromi Kawakami (Les années douces ; La brocante Nakano), il y a très peu de rebondissements dans cette intrigue, mais beaucoup d'introspection. L'accent n'est pas du tout mis sur l'action, mais sur l'état d'esprit de Kei, sur ses questionnements, ses doutes, ses souvenirs, ses visions, ses sentiments... Le tout avec toujours une belle écriture empreinte de poésie que l'auteure manie à merveille, et à laquelle la traductrice, Elisabeth Suetsugu rend hommage. Au final, j'ai beaucoup aimé ce roman où se mêlent tristesse, mélancolie et espoir, saupoudrés de quelques éléments extraordinaires.

Un extrait : 

Mon mari souhait-il mourir ? 
Ou bien a-t-il disparu parce qu'il voulait vivre ?
A moins que... Après tout, vivre ou mourir étaient peut-être des choses qui n'entraient pas dans sa réflexion, qui sait ? Les arbres sont devenus clairsemés, le chemin s'est élargi. La route aboutissait à un rond-point. Un autobus était arrêté au terminus, j'étais certaine que c'était celui qui m'avait dépassée tout à l'heure. Le chauffeur n'était pas dedans. La porte était ouverte.
Soudain, le ciel s'est élargi. La mer était juste en bas. La crête des vagues se défaisait dans une écume blanche. Je suis restée un moment à regarder, et j'ai vu des gens descendre vers les vagues qui se brisaient contre les rochers, le long de la pente sinueuse. Ils n'étaient pas plus grands que mon doigt.
En sautant d'ici, la mort serait instantanée. A peine cette idée m'était-elle venue à l'esprit que je m'en suis presque mordu les lèvres. Mourir tout de suite... Non que l'expression soit blasphématoire en elle-même, mais je me suis sentie sans force, comme engourdie de cette mollesse qui précède la fièvre. La mort n'était pas si loin que je puisse me jouer d'elle. Elle n'avait pas d'urgence, et pourtant...


Deuxième participation au challenge de Catherine !


lundi 2 avril 2012

Charlotte Isabel Hansen de Tore Renberg

Charlotte Isabel Hansen raconte l'histoire de Jarle Klepp, jeune étudiant en sciences littéraires, qui apprend qu'il est le père d'une petite fille, éponyme, de sept ans, conçue lors d'une beuverie alors qu'il avait dix sept ans. Ce qui est totalement improbable, c'est que la mère Charlotte Isabel, qui n'a jamais revu Jarle depuis cette fameuse soirée, décide un jour de partir en vacances pendant une semaine et envoie sa fille, par avion, chez son père, qui rappelons-le est quand même un inconnu (peut-être un psychopathe, un pervers ??) pour passer la semaine avec lui. Bref, l'histoire débute assez (très ?) maladroitement. 

Qui plus est, on a droit à un portrait très désagréable du personnage principal : Jarle est un étudiant imbu de lui-même et égoïste, qui aime se penser supérieur aux autres, qui est obnubilé par un article qu'il a envoyé dans une célèbre revue intellectuelle mais qui n'est pas encore publié et qui évolue dans un monde universitaire très caricaturé, pédant et franchement pas sympathique. Le début du roman est donc fortement pénalisé par l'incohérence de l'histoire et le portrait du protagoniste, sans compter que certains passages un peu crus, voire vulgaires, ne se justifient pas. 

Mais, il faut attendre que la petite fille fasse son apparition pour prendre (enfin) goût à ce roman. Charlotte Isabel, dite Lotte, est une fillette blonde de sept ans tout à fait normale : elle est curieuse, très bavarde, pose sans arrêt des questions sur le monde qui l'entoure et est passionnée par les princesses et les Spice Girls. Rien de bien original, mais le portrait reste charmant, mignon et on a vite fait de s'attacher à Lotte qui va apporter la touche de fraîcheur et de vie dont avait bien besoin Jarle et son entourage (et le roman aussi). On assiste à l'amour naissant d'un père envers sa fille, un père, qui au début ne se reconnaît pas en tant que tel, mais qui va subir les premières inquiétudes, les premiers sentiments de responsabilité, les premiers déboires du rôle de père. Certes, le sujet a déjà été traité bien des fois, et de façon plus originale encore, mais il en résulte ici un roman touchant, qui ne restera pas forcément dans ma mémoire, mais je suis bien contente d'avoir dépassé les premières pages un peu chaotiques pour aller jusqu'au bout !

Extraits :

Avant l'arrivée de Lotte :

La mère de mon enfant est tout bonnement caissière.
Et, à présent, elle est en vacances dans le sud.
Quelle attitude allait-il adopter vis-à-vis de cette situation ? En tant qu'étudiant des sciences littéraires, avec une représentation de soi comme membre du monde universitaire, il était difficile pour Jarle de se résigner au fait qu'il était "lié" à une caissière. Ne vous méprenez pas, se disait-il, comme s'il parlait à une tierce personne, je sais parfaitement qu'il faut que les gens travaillent dans le secteur alimentaire et, par définition, on n'a pas moins de valeur humaine pour ça, mais il est néanmoins évident que nous évoluons dans des sphères très différentes, Anette la caissière et moi. Nous avons des ambitions et des désirs différents dans la vie. Elle choisit de rester à l'horizontal devant une télé en mangeant des chips après son travail. Je choisis de lire des articles où Theodor Adorno procède à des lectures déconstructivistes d'Hegel ou dans lesquels Roland Barthes analyse l'écran cratylique dans les noms propres. Cependant, en dépit de ces différences; nous avons fait un enfant ensemble. Nous avons une fois, il y a longtemps, été à ce point attirés l'un vers l'autre que nous nous sommes laissés aller.

Après l'arrivée de Lotte :

Au lieu de se remémorer sa propre enfance et ses propres souvenirs, il s'parçut, à sa grande surprise, qu'autre chose était en train de se produire. Assis là, dans le siège rouge, il s'étonnait un peu que sa fille lui manque ainsi et c'était comme s'il devenait son propre père. C'était son père, et d'une manière tout à fait remarquable tous les autres pères, qui s'invitaient dans son trip mémoriel ; c'était dans leur monde, fait de leurs expériences et de leurs sentiments, qu'il était convié - contre son gré ; et non dans celui des enfants, le sien quand  il était jeune ou celui de Charlotte Isabel. Il se sentit les tempes glacées lorsqu'il réalisa soudain qu'il était incapable de se rappeler sa propre vie et qu'au contraire il lui semblait pénétrer à l'intérieur de la tête de son père, dans le cerveau commun à tous les pères; si soucieux de leurs enfants, si découragés par leurs enfants.
Où est mon enfant ?

Ce livre fait partie de la sélection littérature du Prix des Lecteurs Livre de Poche pour le mois de mars !