mercredi 20 avril 2016

L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante

Elena Greco grandit à Naples, à la fin des années 50, au cœur d'un quartier défavorisé où vivent plusieurs familles, plus ou moins pauvres, dans une sorte de proximité inévitable. Elle se lie d'amitié avec Lila, jeune fille du même âge, incroyablement brillante, avec qui elle joue et va à l'école. Les deux amies grandissent et changent petit à petit, aussi bien physiquement que psychologiquement. Alors qu'Elena a la possibilité de continuer ses études grâce à la persévérance de son enseignante, Lila devra aller travailler à la cordonnerie familiale, aux côtés de son père et son frère. D'année en année, on suit l'enfance et l'adolescence de ses deux héroïnes qui s'éloignent et se rapprochent sans cesse, avec en arrière-fond une Naples violente et pauvre.

On entend beaucoup parler de ce roman qui rencontre un beau succès et dont l'auteur intrigue beaucoup car Elena Ferrante est un pseudonyme utilisé par l'auteur qui souhaite rester secret. L'amie prodigieuse est le premier tome d'une série de romans, dont le quatrième a été publié en Italie en 2014. Le premier tome est consacré à l'enfance et l'adolescence des deux héroïnes italiennes dont on suit le destin. 

L'histoire est racontée par Elena Greco, à la première personne, ce qui nous plonge au cœur même de son histoire, dans laquelle elle évoque sa vie de famille, ses amis, ses études et surtout Lila. Elena est fascinée par son amie Lila, excellente en tout point, belle, intelligente, surdouée, et qui semble comme flotter au-dessus des autres et au-dessus de la misère et la violence de cette Naples des années 50. En grandissant, les deux amies s'éloignent un peu lorsque Elena a la possibilité de continuer ses études. Mais, Elena, entre admiration et envie, n'a de cesse de se comparer à Lila, ce qui joue un rôle moteur dans son apprentissage et qui la pousse toujours à aller plus loin pour dépasser Lila. Elena éprouve donc énormément de sentiments pour son amie Lila : adoration, attraction, mais aussi jalousie et rivalité. Et viennent alors les premiers émois amoureux, les garçons et les difficultés.

A travers le destin des deux héroïnes, et des familles qui les entourent et qui constituent ce microcosme qu'est le quartier où habitent Elena et Lila, on s'imagine très bien dans une Naples aux milles visages, à la fois belle et dure, sombre et violente et parfois lumineuse quand on atteint la mer... L'amie prodigieuse est un gros coup de cœur, tant par la qualité de l'écriture que par l'histoire dense racontée qui nous emportent loin...

mardi 12 avril 2016

Un souffle une ombre de Christian Carayon

Été 1980, quatre adolescents partent camper sur un îlot au milieu du lac de Basse-Misère dans le sud du Massif Central. Le lendemain matin, on retrouve trois cadavres et une survivante choquée et incapable de se souvenir du drame. 
Trente quatre ans plus tard, Marc-Édouard, le narrateur, à l'époque collégien marqué par le massacre et aujourd'hui professeur d'histoire à Toulouse, n'a jamais pu oublier Basse-Misère. Afin de plonger dans ses pires cauchemars, il entreprend de recommencer l'enquête, comme une thérapie pour exorciser ses peurs les plus profondes.

Marc-Édouard est un professeur d'histoire contemporaine qui a eu son moment de gloire lors de la publication de son ouvrage sur l'homosexualité et la guerre. Mais, les jalousies et convoitises du milieu universitaire l'ont rapidement fait passer au statut de professeur moqué et de second plan. Il n'a pas su se défendre face aux critiques car Marc-Édouard est quelqu'un de profondément angoissé, marqué par la peur depuis son adolescence. Je dois avouer que je ne me suis pas tout de suite attachée au personnage. Pour lui, l'origine de cette peur, c'est le massacre de Basse-Misère. Sur les conseils d'un thérapeute, il entreprend de raconter l'histoire de Basse-Misère et le lent mais inexorable déclin de la région touchée, autant que lui, par le drame. 

Le lecteur est totalement plongé dans la tête de Marc-Édouard et de son long travail introspectif sur son enfance, son travail, ses relations avec les autres. J'ai trouvé le début de ce roman assez lent et il m'a fallu du temps pour y entrer vraiment. Le narrateur entreprend un vrai travail d'historien ou de journaliste, à la recherche des sources, et son enquête fourmille de détails. Le massacre ayant lieu trente quatre ans plus tôt, ne vous attendez pas à un suspense de fou et à des fins de chapitre qui vous tiennent en haleine. Non, Un souffle une ombre n'est pas un thriller ordinaire, on a affaire à quelque chose de plus complexe, de plus profond, et le parallèle entre la vie de l'auteur et le drame de Basse-Misère m'a convaincue. Les derniers chapitres prennent quand même une tournure plus classique de thriller et la surprise est là et rondement bien menée par l'auteur.

jeudi 7 avril 2016

Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa

Il y a des périodes comme ça où il m'arrive d'être bloquée dans mes lectures et d'avoir l'impression de ne pas avancer. Je commence un livre et j'arrête en cours de route, j'en prends un autre, et c'est pareil. Et puis, soudain, un livre débloque tout, je le dévore d'un bout à l'autre et il me réconcilie enfin avec la lecture.

Cette fois-ci, ce livre-remède c'est : Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa.

Sentarô tient une échoppe de dorayaki, ces pâtisseries japonaises constituées d'une pâte de haricots rouges au milieu de deux pancakes. Il est arrivé là un peu par hasard, à sa sortie de prison, grâce au propriétaire de l'échoppe dont il est le débiteur. Il cuisine ses dorayaki sans conviction, utilisant une pâte industrielle toute faite et l'échoppe vivote sans succès particulier. Un jour, Tokue, une vieille dame aux mains déformées lui propose sa pâte de haricots rouges en espérant se faire embaucher dans l'échoppe. Sentarô refuse mais en goûtant la pâte, il découvre des arômes insoupçonnés et finit par accepter. La clientèle est conquise, le succès est au rendez-vous notamment auprès des jeunes lycéennes.
Mais Tokue cache un lourd secret qui une fois dévoilé, vient compromettre le succès de l'échoppe et bouleverser la vie de Sentarô.



Duran Sukegawa raconte le Japon actuel tel qu'on se l'imagine : les cerisiers en fleurs, les jeunes filles en uniforme, la chaleur estivale... Elle nous fait saliver avec cette pâte sucrée de haricots rouges, que Tokue fait cuire tout en lenteur pour préserver les arômes qu'on sentirait presque s'échapper des pages du roman. Elle décrit tout en finesse et en douceur une belle et émouvante relation qui se crée entre les trois protagonistes. L'apparition de Tokue dans la vie de Sentarô, et aussi celle de Wakana, une jeune lycéenne cliente de l'échoppe, bouleverse leur vision des choses. Sentarô retrouve enfin un sens à sa vie, le goût de vivre avec un but.

Je n'en dirai pas plus, car je n'ai pas envie de vous dévoiler le secret de Tokue qui se sait assez tôt et donne à l'histoire une touche dramatique mais aussi historique que je ne connaissais pas mais qui m'a beaucoup touché. Ce roman m'a donné très envie de découvrir l'adaptation cinématographique qui en a été faite par Naomi Kawase. Et vous, qu'en avez-vous pensé ?