vendredi 15 juillet 2011

Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras

Lors d'une soirée d'été, un homme "élégant, mince et grand", aperçoit, dans le hall d'un hôtel, un jeune étranger qui a "le teint blanc des amants. Les cheveux noirs.". Ce dernier rejoint une femme, les cheveux noirs aussi. Tous deux disparaissent sur la plage, sous les yeux de l'homme, qui se met à pleurer "comme les gens désespérés dans le cinéma triste". Plus tard dans la soirée, cet homme retrouve dans un café la même jeune femme, sans la reconnaître. Il lui propose de la payer pour qu'elle vienne chez lui, dormir à ses côtés mais sans la toucher. Elle accepte et chaque soir à la même heure, vient se coucher auprès de l'homme. Dans cette chambre, tous deux vont pleurer le même homme, celui qu'elle a aimé quelques temps, celui qu'il a aimé en un instant fugace.

Les yeux bleus cheveux noirs, publié en 1986 aux éditions de Minuit, est une adaptation théâtrale de La Maladie de la mort, paru en 1982. Comme une pièce de théâtre, il est parsemé d'indications scéniques, dans lesquelles des acteurs lisent le texte, regardent tour à tour les deux héros et le public. L'action se déroule principalement dans une chambre, dans la maison de l'homme, où trône un lit, dans lequel les héros passeront plusieurs nuits à dormir, parler, se regarder... Dans ce huis-clos, deux solitudes se rencontrent et remplissent la scène de leur désespoir, leurs cris, leurs états-d'âme, leurs caresses sensuelles.

"La salle serait dans le noir, dirait l'acteur. La pièce commencerait sans cesse. A chaque phrase, à chaque mot.
Les acteurs pourraient ne pas être des acteurs de théâtre. Ils devraient toujours lire le livre à voix haute et claire, se tenir de toutes leurs forces exempts de toute mémoire de l'avoir jamais lu, dans la conviction de n'en connaître rien, et cela chaque soir.
Les deux héros de l'histoire occuperaient la place centrale de la scène près de la rampe. Il ferait toujours une lumière indécise, sauf à cet endroit du lieu des héros où la lumière serait violente et égale. Autour, les formes vêtues de blanc qui tournent." (p.49-50)

Il est question de trois personnages : l'homme, la femme et l'étranger aux yeux bleus et cheveux noirs. Depuis qu'il l'a aperçu, l'homme se consume de désir pour le jeune étranger et retrouve chez la jeune femme, les mêmes yeux. Mais il est incapable de la désirer, incapable de désirer une femme. Alors, elle se désespère d'amour et se donne à un autre homme la journée. De retour dans la chambre, elle raconte à celui qu'elle désire, les jouissances que lui a procurées cet autre homme. Au delà du désir que tous deux partagent pour le jeune étranger, c'est aussi l'histoire d'un amour impossible entre cet homme et cette femme, d'un désir contraire à la nature de l'homme qui n'aime pas les femmes.

"Je suis allé le chercher sur la plage, je ne savais plus ce que je faisais. Puis je suis revenu dans le parc. J'ai attendu l'arrivée de la nuit. Je suis parti quand on a éteint le hall. Je suis allé à ce café au bord de la mer. D'habitude nos histoires sont courtes, je n'ai jamais connu ça. L'image est là - il montre sa tête, son cœur -, fixe. Je me suis enfermé avec vous dans cette maison pour ne pas l'oublier. Maintenant vous savez la vérité." (p.36)

J'ai bien aimé l'écriture de Marguerite Duras, très particulière. Au premier abord, elle paraît très simple, avec ses petites phrases successives. J'avais peur d'être lassée par ses "il dit ça, il fait ça, il demande ça" etc. Mais, la beauté du texte se révèle dans certains paragraphes, où la sonorité accompagne les images avec volupté. La force du texte se situe dans les mots de Duras, dans les lignes sur lesquelles on s'arrête, celles que l'on relit à haute voix pour en saisir toute la poésie. Plus qu'un texte, c'est une voix que Duras donne à entendre.

"Elle est dans l'ombre, séparée de la lumière. Le lustre gainé de noir n'éclaire que l'endroit des corps. L'ombre du lustre fait les ombres différentes. Le bleu des yeux et le blanc des draps, le bleu du bandeau et la pâleur de la peau se sont couverts de l'ombre de la chambre, celle du vert des plantes du fond des mers. Elle est là, mélangée avec les couleurs, et l'ombre, toujours triste de quelque mal qu'elle ne sait pas. Née comme ça. Avec ce bleu dans les yeux. Cette beauté." (p.48)

En parallèle de ce texte, j'ai lu La pute de la côte normande,  également publié en 1986. C'est un texte très court dans lequel Marguerite Duras explique comment elle a écrit Les yeux bleus cheveux noirs, durant l'été à Trouville, en compagnie de Yann Andréa (à qui elle a dédicacé son livre). Duras peine à écrire l'adaptation théâtrale de La Maladie de la mort qu'on lui a demandée, mais est prise durant l'été 1986, d'une frénésie d'écriture, rythmée par les cris et les disputes avec son amant et assistant Yann.

"C'est l'été 1986. J'écris l'histoire. Pendant tout l'été, chaque jour, quelquefois le soir, quelquefois la nuit. C'est à cette époque-là que Yann entre dans une période de cris, de hurlements. Il tape le livre à la machine, deux heures par jour. Dans le livre, j'ai dix-huit ans, j'aime un homme qui hait mon désir. Yann tape sous dictée. Tandis qu'il tape, il ne crie pas." (La pute de la côte normande, p. 10-11).



 









6 commentaires:

  1. Et pour voir l'ensemble des billets publiés avec le mot "bleu" : http://aperto.libro.over-blog.com/article-challenge-un-mot-des-titres-session-1-les-billets-79476539.html

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  2. Mon unique expérience de Duras a été un échec, il faudrait que je retente le coup.
    Merci d'avoir participé à cette première session !

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  3. J'ai découvert Duras avec L'amant, et jusqu'ici il fait parti des livres qui m'ont véritablement bouleversés. J'en ai lu quelques autres, moins forts que l'amant, mais d'une qualité incroyable. Son écriture est extrêmement puissance et on ressent dans ton écrit que tu es encore un peu dedans. Merci pour ce billet :)

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  4. Je n'aime pas trop le style de Marguerite Duras donc je ne pense pas lire un autre livre d'elle (car ça avait vraiment été laborieux !) ... mais au moins tu as apprécié cette expérience :D

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  5. Le style de Duras est assez particulier, je comprends que l'on n'apprécie pas.
    J'ai prévu de lire bientôt L'Amant, ou plutôt de le relire car je l'ai lu il y a très longtemps et assez rapidement, je pense que je suis passée à côté.

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  6. Le pédagogue :

    Intellectuelle de gauche, elle a été « célébrée » à sa vieillesse, pour un petit écrit intitulé « L’amant » (Éditions de Minuit, Paris 1984).
    Un écrit qui a trait, semble-t-il, à ses frasques sexuelles durant sa jeunesse au Vietnam colonisé par la France.
    Marguerite Duras, de son vrai nom Donnadieu, a obtenu pour cela le prix « Goncourt » et beaucoup d’argent.
    Son premier écrit (L’Empire Français, Éditions Gallimard) qui date de 1940, publié sous son vrai nom alors qu’elle était employée au ministère des colonies, a été occulté.
    1940, c’est l’année du début de l’occupation de la France par l’Allemagne du national-socialisme, du nazisme.
    L’écrit est une propagande colonialiste, une apologie du colonialisme français.
    Aujourd’hui encore, beaucoup de personnes en France, de gauche, de droite, et autres, adeptes du système colonialo-impérialo-sioniste, ont la nostalgie du « bon vieux temps » !
    La France colonialiste a connu cinq ans d’occupation par l’Allemagne du national-socialisme, du nazisme, pendant ce qui a été appelé la deuxième guerre mondiale (1940-1945).
    Une énorme importance continue d’être accordée à cette période au nom de ce qui est appelé « le devoir de mémoire », entretenu par un flot constant de publications, de films, d’images, de conférences, de discours, de cérémonies, de célébrations, de commémorations, d’hommages, de décorations et autres.
    Mais lorsque des personnes des pays qui ont connu le colonialisme et ses horreurs pendant des dizaines et des dizaines d’années veulent parler de ces horreurs, la France, qui continue des horreurs colonialo-impérialo-sionistes, réclame le silence avec orgueil, arrogance, et dénégation en leur ordonnant de « tourner la page » et d’être reconnaissants pour l’apport « civilisationnel » du colonialo-impérialo-sionisme « qui continue de veiller sur les valeurs de l’humanité » !
    Pendant que la France fêtait par exemple « la libération » de l’occupation du national-socialisme, du nazisme, après l’utilisation des populations colonisées par centaines de milliers comme chair à canon, de leurs biens, et de leurs territoires, le colonialisme français continuait l’asservissement, l’oppression, les massacres et autres horreurs dans les pays colonisés.
    Les criminels colonialistes, impérialo-sionistes et leurs collaborateurs ont été récompensés, sont récompensés.
    Des intellectuels, hommes et femmes, de gauche, de droite et autres, continuent de vanter « la belle époque de l’Empire colonial français », et de considérer que les crimes contre l’humanité commis par le colonialisme, par l’impérialo-sionisme, crimes qui se poursuivent, sont des « inventions des obscurantistes, des fanatiques, des musulmans, des intégristes, des islamistes, des terroristes, des arabes, des antisémites, des barbares, des ennemis de la civilisation, des ennemis des droits de l’homme, des ennemis des femmes ».

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