samedi 6 juin 2015

La parole contraire d'Erri De Luca

Erri De Luca, poursuivi en justice par la LTF (Lyon-Turin ferroviaire) pour avoir incité à saboter et dégrader la ligne TAV (treno ad alta velocità), risque au maximum cinq ans de prison. En effet, Erri De Luca soutient publiquement le mouvement NO TAV qui s'oppose à la construction d'une ligne de train à grande vitesse dans la vallée de Suse. En 2013, il déclare au Huffington Post, entre autres : "je reste persuadé que la TAV est une entreprise inutile et je continue à penser qu'il est juste de la saboter". La parole contraire est en quelque sorte une réponse au procès qu'on lui fait. 

Dans ce court texte, Erri De Luca revient sur la présumée capacité d'incitation d'un écrivain, à partir de sa propre expérience de lecteur et évoque ses influences comme Orwell, Pasolini... Un écrivain peut-il inciter à rejoindre un mouvement contestataire ? Pour Erri De Luca, la réponse est non car la rencontre avec un livre qui nous touche et due au hasard :  "La littérature agit sur les fibres nerveuses de celui qui a la chance de vivre la rencontre entre un livre et sa propre vie. Ce sont des rendez-vous qu'on ne peut fixer ni recommander aux autres. La surprise face au mélange soudain de ses propres jours avec les pages d'un livre appartient à chaque lecteur."

Pourtant, l'écrivain a bien un rôle : "Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à exprimer leur propre. [...] Telle est la raison sociale d'une écrivain, en dehors de celle de communiquer : être le porte-parole de celui qui est sans écoute." C'est bien ce que fait Erri De Luca en s'engageant auprès du Val de Suse, en se battant auprès de ceux qui luttent avec détermination pour protéger leur vallée d'un désastre environnemental et qui n'ont peut-être pas l'écho médiatique qu'ils souhaiteraient. Pour autant, il n'incite pas à la violence et appelle les procureurs en charge de l'affaire à regarder les différents sens du mot "saboter" dans le dictionnaire : "Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sabote la production d'un établissement ou d'un service. [...] J'accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire."

Erri De Luca revendique son droit à la "parole contraire", c'est-à-dire la possibilité d'exprimer une opinion autre, différente, et non pas obséquieuse qui elle est "toujours libre et appréciée". En relevant les incohérences et les absurdités de ce procès, Erri De Luca donne une piètre image de la justice italienne dans cette affaire et ne peut que toucher la fibre révolutionnaire qui se niche en nous. 

Il y a beaucoup de citations d'Erri De Luca dans cette chronique car quoi de mieux que les mots justes et forts de l'écrivain italien pour parler de ce texte. Pour finir, l'auteur rappelle avec raison l'article 21 de la Constitution italienne : "Chacun a le droit de manifester librement sa propre pensée par la parole, l'écrit et tout autre moyen de diffusion." Voilà la vraie victime de sabotage dans cette affaire : la liberté d'expression, "liberté de parole contraire".

2 commentaires:

  1. Ooh ça a l'air bien comme bouquin ! Je l'ajoute à ma PAL ! (j'en ai beaucoup, je ne vais pas m'ennuyer en vacances !)

    Merci pour cet avis :)

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    1. Merci pour ton commentaire ! Pense à prendre d'autres livres, celui-là est tout petit et se lit très vite :)

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