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lundi 6 octobre 2014

Ça pourrait bien être votre jour de chance de Mileta Prodanović

Belgrade, 1999, pendant les bombardements de l’OTAN.  Dans l’espoir d’émigrer aux États-Unis et de quitter leur condition d’Européens de l’Est, le narrateur et son épouse décident non seulement de participer à la loterie de l’immigration organisée par le gouvernement américain, mais également d’y inscrire leur chienne Milica. C’est cette dernière qui remporte le ticket gagnant, et se révèle soudain douée de parole. Mais d’autres phénomènes étranges font leur apparition : certains livres deviennent comestibles, les appareils ménagers sont capables de mener une révolte suicidaire, les animaux de compagnie ont des prétentions d’écrivains...

C'est en lisant le résumé du roman ci-dessus que je me suis laissée facilement tenter par ce titre proposé chez Libfly pour l'opération La Voie des Indés (dont je vous avais parlé ici). En effet, le roman me permettait de découvrir la littérature serbe et promettait d'être drôle et original.

L'action du roman se déroule à huis clos : un couple et leur chienne, retranchés dans leur appartement à Belgrade, pendant les bombardements de l'OTAN en 1999. Milica, petite chienne noire, gagne la loterie et donc la fameuse carte verte lui permettant de s'installer aux États-Unis. Là voilà soudainement douée de parole, et elle ne va pas se priver pour l'utiliser, allant même jusqu'à écrire un livre. Elle adopte les valeurs et croyances des Américains (et donc de l'OTAN), ses futurs compatriotes, et c'est l'occasion de débats très animés avec ses maitres serbes. Pendant qu'ils enchainent leurs réflexions autour de la guerre et de leurs pays, leur quotidien s'écroule sous les bombardements, renforçant le côté absurde de la situation : animaux sauvages en liberté, aliens qui débarquent, appareils ménagers qui disjonctent, coupures d'eau et d'électricité...

Dès la préface intitulée "Nous , Européens de l'Est", le ton du roman est donné : "Rares sont ceux, dans l'Occident éclairé, qui ont connaissance de cette donnée : en Europe de l'Est, les gens naissent avec une trompe et des cornes.". Mileta Prodanović s'attache à décrire la société serbe avec une ironie féroce et un cynisme mordant. Écrit pendant les bombardements de Belgrade en 1999, ce roman n'est pas très tendre ni avec les Serbes, ni avec les Américains. Un petit rappel historique s'impose : les bombardements de Belgrade de 1999 (Opération Allied Force) ont eu lieu pendant la guerre du Kosovo dans le but de faire plier la République fédérale de Yougoslavie et de renverser le dictateur au pouvoir, Slobodan Milošević. Cette opération a duré 78 jours, a causé de graves problèmes sanitaires et tué des centaines de civils, pour lesquels l'OTAN a invoqué le concept de "dommage collatéral". Le sous-titre du roman "un livre collatéral et absolument politiquement incorrect" y fait donc clairement allusion. Mais pas de sang, de morts ou de blessés dans le roman. La force de Mileta Prodanović est de jouer exclusivement avec le langage : il parodie discours officiels, discours médiatiques, discours de propagande provenant des deux côtés, il donne la parole à Milica mais aussi aux médias (la télévision est la seule à ne pas tomber en panne !) faisant entendre deux sons de cloche tout en insistant sur leurs ressemblances absurdes. On a donc très peu d'action et de descriptions mais beaucoup de dialogues.

Ironie, parodie, des effets de langage difficiles à traduire selon l'aveu même de la traductrice, Chloé Billon, dans sa postface qui éclaire bien des choses. Si on rajoute en plus ma méconnaissance des faits historiques et de la culture serbe en général (comportement, humour...), on comprend mieux pourquoi il m'a été difficile de rentrer complètement dans ce roman et d'en saisir tous les aspects. Si j'ai apprécié l'humour de l'auteur, je n'ai sans doute pas saisi toutes les allusions et ai fini par me lasser quelque peu du du côté jusqu'au-boutiste dans l'absurde. Ça pourrait bien être votre jour de chance est un livre que je conseillerai plutôt aux initiés, si on ne veut pas passer un peu à côté !

samedi 13 septembre 2014

Libfly : une communauté de lecteurs et plus encore

http://www.libfly.com
Vous connaissez Libfly ? C'est un réseau social du livre, une communauté de lecteurs, une bibliothèque personnelle en ligne, bref c'est plein de choses à la fois et un site vraiment intéressant pour les passionnés du lecture créé en 2009 par la société Archimed.

On peut entre autres :
- créer sa bibliothèque et classer ses livres dans des listes thématiques
- noter les livres lus et  partager nos chroniques de lecture et citations préférées
- échanger avec d'autres lecteurs sur le forum
- prêter ses livres et participer aux opérations "Livres voyageurs"
- se tenir au courant de l'actualité du monde de livre grâce aux informations, aux retransmissions vidéo de manifestations littéraires et aux opérations de partenariat avec les éditeurs

C'est d'ailleurs ce dernier point qui m'a donné envie de vous préparer cet article car, actuellement Libfly propose à ses inscrits la troisième édition de "La Voie des Indés". Il s'agit d'une "exploration collective de l'édition indépendante francophone". Et oui, en cette période de rentrée littéraire, où l'on parle beaucoup des mêmes livres des mêmes grands éditeurs qui ont les moyens d'occuper la scène médiatique (ce qui n'enlève rien à leur qualité bien sûr), Libfly s'intéresse à l'édition indépendante et donc aussi aux petites maisons d'édition plus discrètes. 

http://www.lavoiedesindes.fr


L'idée principale de l'opération, c'est "un livre contre une critique". Chaque inscrit peut participer et recevoir un livre en s'engageant à le lire bien sûr et à le chroniquer sur Libfly ! Il s'agit d'offrir un maximum de visibilité aux éditeurs en diffusant les chroniques de leurs livres mais également en leur donnant un espace sur le forum pour que les lecteurs puissent discuter des livres mis à disposition pour l'opération. La Voie des Indés, c'est aussi tout une série de rencontres, discussions et rendez-vous notamment une soirée d'ouverture qui aura lieu à Lille le 2 octobre et une soirée de clôture à Paris le 15 décembre. 

Retrouvez toutes les infos sur l'opération grâce à leur tout nouveau et tout beau site Internet : www.lavoiedesindes.fr. On y trouve notamment l'agenda de toutes les rencontres prévues, un espace pour chaque éditeur et bientôt toutes les chroniques rédigées par les inscrits à Libfly.

Libfly est un site que j'aime pour son côté convivial d'échange et de partage entre lecteurs passionnés mais également car il propose chaque année une rentrée littéraire alternative et que ça fait du bien ! Si vous n'êtes pas encore inscrits, foncez !!!


Mon compte Libfly

lundi 24 septembre 2012

La Voie des indés chez Libfly !


Si vous ne connaissez pas encore Libfly, n'hésitez pas à vous inscrire : vous pourrez créer votre bibliothèque virtuelle, partager vos lectures avec l'ensemble de la communauté, assister à des rencontres exceptionnelles avec des éditeurs et auteurs et participer aux opérations "Un livre en échange d'une critique" comme celle qui a lieu actuellement : "La Voie des indés".
Bonnes lectures indépendantes !

lundi 20 février 2012

La dernière ronde d'Ilf Eddine

C'est l'histoire d'un vieil homme, le narrateur, qui participe à un grand tournoi d'échecs, peut-être don dernier, et se remémore les événements marquants de sa vie, entre Moscou et Paris, notamment pendant la Guerre froide. Champion d'échecs, sa vie tourne autour du jeu, jusqu'à délaisser femme et enfants. Le narrateur nous emporte dans son monde entre nostalgie et regrets du temps passé, mais aussi bonheur et passion des échecs. Car c'est un peu une histoire de ce jeu dans laquelle on croise de grands champions comme Bobby Fischer, Gary Kasparov, Boris Spassky, Anatoli Karpov et l'on apprend plus sur l'enjeu des tournois dans le contexte de la Guerre froide.

Le livre se compose de onze chapitres relatant chaque partie joué par le narrateur dans les onze rondes du tournoi. Ce récit est entrecoupé des souvenirs du vieil homme : son enfance et comment il est devenu passionné par les échecs, ses débuts flamboyants, ses échecs, ses relations avec les femmes et ses enfants, sa participation à l'entraînement du grand Karpov, et puis sa vie à Montpellier où il donne des cours à des joueurs amateurs... On est complètement entraîné dans le récit nostalgique du vieil homme et l'alternance des deux histoires, passée et présente, fonctionne à merveille.

Je n'y connais strictement rien aux échecs, ni à la technique et ni à son histoire. J'ai donc été un peu perdue dans le récit des onze rondes du tournoi avec les déplacements des pièces, les termes techniques et les différentes ouvertures possibles. Mais, l'auteur est parvenue à me plonger dans le tournoi en gardant un rythme haletant, m'obligeant à accélérer ma lecture pour connaître l'issue du tournoi.

Un grand bravo à Ilf Eddine et merci aux éditions Elyzad et à Libfly pour l'opération "Deux éditeurs du Maghreb se livrent".

Sur l'auteur : Ilf-Eddine est né à Paris en 1976. Il a publié deux nouvelles et a reçu le Prix du Jeune Écrivain en 2011 pour l'une d'entre elles. La dernière ronde a été finaliste du Prix des cinq continents de la Francophonie en 2011.

Autre avis très intéressant sur ce livre chez Itzamna

Extraits :

Sur l'ensemble de ma vie, j'ai dormi à l'hôtel aussi souvent que chez moi. J'ai connu des établissements modestes, mal chauffés et vétustes, et d'autres luxueux, qu'ils soient cathédrales soviétiques ou emblèmes impersonnels de la mondialisation. A chaque fois, j'ai aimé l'apaisement procuré par cette clé que l'on vous tend, cette porte qui s'ouvre, cette chambre qui s'offre à vous.

Je suis rentré chez moi plongé dans mes pensées. J'avais croisé Fischer... J'avais secondé Karpov... Aujourd'hui, j'avais vu celui qui, sans nul doute, allait être au firmament des échecs mondiaux dans les années à venir... J'avais quarante-deux ans ; j'étais divorcé ; j'étais fatigué par ma vie à Moscou. Il me fallait passer à autre chose, radicalement, refermer le livre de mes jeunes années... Dans les mois qui ont suivi, sans plus me soucier de l'interzonal et du tournoi des candidats, j'ai quitté l'URSS pour la France et j'ai tiré un trait que je croyais définitif sur les cycles de championnat du monde.

vendredi 3 février 2012

Enfances tunisiennes / collectif des éditions elyzad

Enfances tunisiennes est un recueil de vingt textes écrits par des auteurs de langues française ou arabe. Tous décrivent un ou plusieurs épisodes de leur enfance en Tunisie et racontent des souvenirs familiaux, à l'école, en vacances etc. Les auteurs nous convient à un voyage dans le temps, les récits se déroulant des années 40 aux années 90 et à un voyage dans l'espace, de Tunis au port de la Goulette, en passant par d'autres villes de province. Le tout est accompagné de photographies personnelles des auteurs dans leur enfance, mises en valeur par la remarquable qualité matérielle de l'ouvrage paru aux éditions elyzad en 2010.

Le recueil propose des textes très différents, au niveau du style et de l'écriture. En effet, il y a des romanciers, des poètes, des essayistes, des historiens, des sociologues... Mais tous sont empreints d'une certaine nostalgie : ils évoquent des personnes disparues, des lieux modifiés aujourd'hui et une époque différente. Si certains s'attardent sur un épisode marquant de leur enfance, d'autres s'attachent à décrire une atmosphère et une ambiance plus larges à travers des anecdotes diverses. On assiste alors, à travers le regard d'enfants devenus adultes, aux mutations de la Tunisie (notamment l'indépendance en 1956). La plupart de ces auteurs évoquent un conflit permanent ressenti dans leur enfance de par leurs origines complexes : à la fois arabes, français, italiens, juifs ou chrétiens, ils sont tiraillés par des coutumes et des règles différentes.

Ces enfances tunisiennes, parfois graves et parfois drôles, donnent une image particulière de la Tunisie : une Tunisie multiple, mixant les traditions et les origines et l'image d'un pays à l'histoire complexe. J'ai beaucoup apprécié la lecture de cet ouvrage et remercie les éditions elyzad et Libfly pour cette belle découverte non seulement d'auteurs jamais lus, mais aussi d'un fragment de l'histoire d'un pays.

Des extraits :

"J'étais alors élève dans une école française à Bad Godesberg, en Allemagne, où mon père était ambassadeur de Tunisie à Bonn. Nous jouions dans la cour de récréation. Brusquement, j'entendis un de mes camarades me lancer en criant : "Retourne dans les écoles de ton Bourguiba, on ne sait même pas s'il en a !". Il répétait sans doute, bêtement, sans le comprendre, ce qu'il avait entendu chez ses parents. Je me rappelle cette phrase mot à mot. J'avais neuf ans. Nous étions en 1957. Puis, un attroupement d'élèves se fit autour de moi, et toute la classe s'en prit à moi. Avant même que je ne comprenne ce qui m'arrivait, une des filles, alors ma meilleure amie, me frappa." Extrait de Jamais je ne me suis couchée de bonne heure d'Hélé Béji.

"Ne nous y trompons pas, ici coexistent deux mondes. Qu'ils se dénudent l'un et l'autre, ce n'est pas la même humanité qui, se côtoyant, a garde de se mélanger. Les uns, les conquistadors, se voulant d'une essence supérieure, plus raffinée, plus élevée (puisque l'âme, éthérée, plane au-dessus de la chair, brassée dans une pâte plus grossière, corruptible, qui s'abaisse vers la boue et abaisse) et les autres, pétris dans un limon moins pur, mêlé de croyances archaïques (comment peut-on d'un Aïd l'autre faire carnage d'entiers troupeaux de moutons se demandait-on, oublieux, sans doute, des ripailles de Noël et de la Saint-Sylvestre, hécatombes de porcs, de dindes, de poulardes et de chapons). [...] Ainsi deux mondes se regardent-ils sur la place de mon enfance. [...] Une enfance qui, écartelée entre deux mondes, cherche ses mots." Extrait d'Introuvable d'Ali Bécheur.

Les auteurs des textes : Rabâa Abdelkéfi, Ali Bécheur, Hélé Béji, Emna Belhaj Yahia, Tahar Bekri, Sophie Bessis, Abdeljabbar El Euch, Azza Filali, Aymen Hacen, Hubert Haddad, Abdelaziz Kacem, Mounira Khemir, Nacer Khemir, Ida Kummer, Amel Moussa, Amina Saïd, Jean-Pierre Santini, Guy Sitbon, Walid Soliman et Lucette Valensi.
Textes inédits recueillis par Sophie Bessi et Leïla Sabbar.



lundi 16 janvier 2012

Le café d'Yllka de Cécile Oumhani



Après une quinzaine d'années passées loin de son pays natal, Emina retourne chez son oncle Feti en ex-Yougoslavie. Ensemble, ils évoquent le souvenir de la mère d'Emina et sœur de Feti, disparue en pleine guerre balkanique, et dont il ne reste que quelques lettres. Dans un carnet, Emina cherche à retrouver et réunir ses souvenirs. Elle y parle de ses premières amours, de sa sortie de l'enfance, de sa cousine plus âgée, mais aussi de la guerre, des bombardements, des tirs de snipers dans les rues de Sarajevo, de son père parti les défendre à la guerre, et surtout de sa mère, qui pour protéger Emina et son petit frère, les a envoyés loin du conflit, tout en restant attendre le retour du père. Qu'est-elle devenue ? Est-elle morte ? C'est une réponse à ce doute qui la retient dans le passé qu'Emina est venue chercher dans son retour aux sources.

Quelques mots sur l'auteur : Cécile Oumhani, née en 1952 en Belgique, est une poète et romancière franco-britanno-tunisienne qui a déjà publié de nombreux ouvrages.


C'est avec une très belle écriture imagée que Cécile Oumhani parvient d'emblée à nous plonger dans le récit. On entend les sirènes annonçant un bombardement proche ou le sifflement d'une balle qui passe tout près, on voit les immeubles détruits par les obus, on s'enfonce avec Emina dans les caves en attendant un court répit.

Les personnages sont attachants : le père qui joue de la guitare dans la cave pour rassurer ses proches, Alija le petit frère qui n'abandonne jamais son chat et Yllka, cette mère courage qui jamais ne pleure de peur de montrer ses faiblesses. Enfin, Emina ne peut que nous toucher dans sa recherche de cette mère perdue, dans cette quête impossible qui l'empêche d'avance et la bloque dans son passé.

Si l'image de sa mère est floue, comme le sont les souvenirs d'Emina, c'est par les odeurs et les gestes, qu'elle s'en rappelle. Certains passages m'ont particulièrement enchantée : l'écriture y est poétique et les images très belles.

" La nuit gomme les lignes, efface les années, convie les êtres et leurs secrètes empreintes, d'un souffle venu peupler le paysage à la fenêtre. La nuit offre un sol à son corps délivré. D'un chemin rêvé, elle glisse vers le cercle des visages. Ébahie de couleurs et de sons, elle fouille la présence qui l'envahit, cherche le grain caché du lieu, interroge l'énigme des amonts qu'elle a rejoints. La nuit tisse l'étoffe de lendemains où s'estompera le fardeau de l'énigme, où elle regagnera les rives d'un temps naufragé. "

Si Emina n'a pas existé, elle est pourtant une image de toutes ces personnes qui ont perdu des proches dans une guerre absurde, qui n'ont jamais eu de nouvelles et qui se demandent s'ils sont morts et comment. Ce court roman, qui se lit d'un bout à l'autre sans pouvoir s'arrêter, est universel et m'a profondément touché. Pas étonnant que, paru en 2008, il ait reçu le Prix Littéraire Européen de l'ADELF (Association Des Écrivains de Langue Française) en 2009. 

" Les gens courent dans la rue. leur pas sont de longues enjambées. Ils touchent à peine la chaussée. On dirait des oiseaux qui prennent leur envol, pour éviter la mort qui va fondre sur eux depuis les collines. Les coquilles qui protégeaient leurs vies sont en morceaux et ils sont devenus des oiseaux aux ailes légères. Ils les déploient pour rejoindre ceux qu'ils aiment et quand ils sont près d'eux, ils les gardent grandes ouvertes pour les protéger. Emina a juste le temps d'apercevoir leurs visages amaigris par l'attente. Elle s'élance. Elle va franchir le vide, les épaules transpercées à la pensée  de l’œil qui la guette peut-être, la poitrine déjà incendiée par l'arme pointée sur elle quelque part autour de la ville assiégée."

Je tenais à dire quelques mots sur l'édition de cet ouvrage car j'ai été impressionnée par la qualité : une très belle couverture à rabats et un papier épais de qualité qui font du livre un très bel objet et ne donne que plus envie de le lire. Allez donc voir le catalogue des éditions elyzad.

Merci aux éditions elyzad et à Libfly pour cette belle découverte dans le cadre de l'opération "Deux éditeurs au Maghreb se livrent sur Libfly.com" dont j'avais déjà parlé ici (à la fin du billet).


mercredi 21 décembre 2011

L'envers des autres de Kaouther Adimi

Kaouther Adimi est née en 1986 à Alger. Elle y fait des études de langue et de littérature françaises avant de s'installer à Paris. Remarquée pour ses nouvelles (elle a obtenu le prix du jeune écrivain francophone de Muret en 2006 et 2008), elle publie son premier roman, Des ballerines de papicha, aux éditions Barzakh en Algérie en 2010, repris sous le titre L'envers des autres aux éditions Actes Sud en 2011.

L'envers des autres est un roman polyphonique.  Les chapitres se succèdent et donnent la parole à des personnages différents qui racontent une partie de leur vie à Alger, à notre époque.

L'histoire commence avec Adel qui n'arrive pas à dormir. Il pleure "des larmes de honte et de frustration" et porte un regard très noir sur lui-même. Il sait ce que l'on pense de lui : qu'il n'est pas à la hauteur, qu'il est une femmelette. Pour tromper son désespoir, il passe ses journées à boire et à oublier dans un café. Les journées se succèdent et se ressemblent.

Sa sœur Yasmine est remarquée partout pour sa grande beauté. Étudiante, elle porte un regard cynique sur sa ville, sur la communauté universitaire et étudiante, sur les relations amoureuses, que l'on observe à travers ses yeux. Elle fréquente un jeune homme, Nazim, mais c'est pour oublier son frère qu'elle aime plus que tout.

Leur sœur aînée, Sarah, peint à longueur de journée. Coincée dans cette maison avec son mari Hamza, qui est devenu fou, elle cherche à s'échapper en s'adonnant complètement et pleinement à son art. Leur fille, Mouna, se plaît à être une papicha (une minette) avec ses ballerines bleues toutes neuves. Elle veut se marier avec Kamel, un voisin, et ne prête pas attention aux moqueries de ses camarades de classe.

Enfin, il y a la mère, sans nom, qui a perdu son mari "fauché par une balle aveugle". Elle sait bien ce que les gens disent de ses enfants, trop beaux, trop différents et qui aspirent à plus de liberté. Elle a élevé ses enfants comme il faut mais elle ne comprend pas pourquoi Sarah ne s'occupe plus de son mari et passe ses journées à mélanger des couleurs et pourquoi Yasmine ne se contente pas de trouver un bon travail, un mari et de fonder une famille.

Autour d'eux gravitent des voisins, obnubilés par cette famille étrange. Des jeunes voisins passent leurs nuits à boire et à fumer du shit, partagés par l'envie de quitter leur pays pour l'Europe, promesse d'un meilleur avenir, ou rester pour aider à construire l'Algérie. A partir de l'histoire d'une famille algérienne, c'est une histoire de la jeunesse algérienne posant la question de l'avenir de ces jeunes que pose Kaouther Adimi. Une histoire sombre d'ailleurs, et qui se termine brutalement. La fin est surprenante et laisse des questions en suspens. 

J'ai beaucoup aimé l'écriture limpide de Kaouther Adimi : les dialogues sont naturels et les descriptions rendent bien l'atmosphère particulière de l'Algérie. On est totalement plongés dans cet univers et dans le désespoir de ces personnages qui s'interrogent sur leur avenir.  Je regrette juste que le roman soit si court et se lise si vite : vivement un autre texte de Kaouther Adimi à découvrir !

Extraits :

Il y a dans la nuit quelque chose qui m'attire. Un silence qu'on ne peut retrouver dans le jour. Une sensation d'épaisseur et de lourdeur difficile à définir. Une impression de finitude. J'aime attendre le lever du jour, voir d'un coup la ville s'éveiller. Il est plus raisonnable de dormir toute l'après-midi et de rester debout la nuit.

Mes enfants sont des imbéciles. Des demeurés. Des inconscients. Je ne sais s'ils manquent de maturité, d'intelligence ou simplement de bon sens. Ils doivent être limités. Intellectuellement parlant, s'entend. Parce que physiquement, j'ai l'impression que tout se passe bien pour eux. Et même trop bien. Il aurait mieux valu qu'ils soient handicapés, qu'ils aient par exemple tous les muscles du ventre jusqu'à l'extrémité des orteils paralysés. Ils feraient moins de conneries, ces imbéciles.

Merci aux éditions Barzakh et Actes Sud, ainsi qu'à Libfly pour l'opération "Deux éditeurs se livrent, spécial Maghreb". 

Quelques mots sur cette opération : Pour ceux qui ne connaissent pas le site libfly.com, il s'agit d'une bibliothèque communautaire où chaque inscrit peut partager ses livres et ses critiques. En ce moment, Libfly met en avant deux éditeurs du Maghreb : Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie), spécialisés dans la littérature méditerranéenne. On peut directement leur poser des questions sur le forum de Libfly et une rencontre est organisée le 13 février à Lille (et rediffusée sur LibflyTV) avec les éditeurs et certains auteurs, dont Kaouther Adimi. Plus d'infos sur Libfly !



 

lundi 12 décembre 2011

Le quai de Ouistreham : reportage de Florence Aubenas

En 2009, Florence Aubenas, journaliste, décide de se mettre dans la peau d'une demandeuse d'emploi et de vivre au quotidien l'enfer des emplois précaires. Incognito, Florence Aubenas s'est installée dans une chambre meublée à Caen et s'est inscrite à Pôle emploi. Sa seule limite : arrêter le jour où on lui propose un CDI. Le quai de Ouistreham raconte sa quête qui a duré presque six mois.

Ce livre n'est pas un roman, mais un reportage : les situations et les personnages sont réels. L'écriture de Florence Aubenas est pourtant romancée, et agréable à lire : il y a peu ou pas d'analyse sur le chômage et sur la "crise" de 2009, mais des faits concrets dans la vie de demandeurs d'emplois que l'on entend et que l'on voit peu habituellement. Comme Florence Aubenas, on est immergés dans la quête d'un emploi, les rendez-vous à Pôle emploi, les ateliers "Rédiger un CV", les stages "propreté" et surtout les ménages dans les bureaux et sur le ferry de Ouistreham. On y découvre la solidarité, le courage et l'entraide, mais aussi la mesquinerie et la méchanceté. On y trouve également des éléments intéressants sur l'histoire du syndicalisme et des fermetures de grandes entreprises françaises en Normandie (Société Métallurgique de Normandie, Moulinex...)., ce qui rajoute un contexte important à l'histoire des personnes que Florence Aubenas rencontre.
 
Parfois un peu brouillon, il m'est arrivé de me perdre dans la masse d'hommes, et surtout de femmes, que Florence Aubenas rencontre et dont elle trace un rapide portrait (sous couvert d'anonymat). J'ai aimé trouvé dans ce texte un témoignage de la précarité et non pas une analyse détaillée du chômage en France. Même si Le quai de Oustreham n'apporte rien de nouveau à ce que l'on connaît, ou que l'on imagine, c'est un document social qui laisse un arrière-goût amer d'injustice et une envie de révolte.

Un extrait :

Quand les gens du ménage parlent de cette quête du travail, tous disent la même chose. Le pire, c'est cette première fois, ou plutôt ces premières fois, se lever dans la ville endormie, rouler la nuit vers des endroits inconnus en se demandant où on va tomber. Ce serait exagérer de parler de peur, un pincement plutôt, qui vient s'ajouter à ce fond de fatigue, impossible à résorber. On tient aux nerfs et à l'espoir, celui d'arriver enfin quelque part, mais le but paraît toujours plus lointain.

Merci aux éditions Points et à Libfly pour l'opération "Un poche, un mordu, une critique" ! 
 

lundi 21 novembre 2011

La fille de son père d'Anne Berest

L'histoire est banale : trois sœurs que leurs vies respectives ont éloigné l'une de l'autre se retrouvent à un dîner de famille. Leur mère est morte quand elles étaient encore enfants et leur père s'est mis en couple avec Catherine, qui a du mal à s'imposer et à être acceptée par les sœurs. Au dessert,  les tensions éclatent et Catherine sous-entend qu'une des sœurs ne seraient pas la fille de son père...

Si elles sont toutes les trois rousses, c'est bien des femmes différentes qu'Anne Berest s'amuse à faire interagir. Irène, l'aînée, mariée et mère de famille, a un caractère bien trempé. Vient ensuite la narratrice, qui commence à peine une nouvelle relation. Enfin, Charlie, la cadette, est plus réservée et discrète.

Avant la fin du livre, j'avais quasiment tout découvert, malgré les fausses pistes laissées par l'auteur. Pas de dénouement surprise donc ! Mais La fille de son père est un livre qui se lit tout seul, d'un bout à l'autre sans s'arrêter, un livre que j'ai lu avec beaucoup de plaisir. Les émotions sont exprimées avec justesse et les personnages attachants, notamment celui de la narratrice, dont on s'imagine être à sa place. J'ai été émue par certains passages dramatiques de l'histoire (parce que oui, c'est assez triste quand même) et c'est avec regret que j'ai fermé ce court roman (145 pages).

Il s'agit d'ailleurs du premier roman d'Anne Berest, paru aux éditions du Seuil en 2010, et qui j'espère sera suivi par d'autres !

Un extrait : 
"Il faudrait pouvoir, à l'aide d'un filtre magique ou d'une visionneuse interne, remonter le temps et se revoir, avant. Se souvenir de ce que nous pensions alors, de nos impressions, mais avec la prescience des événements à venir, afin de ne pas oublier certains détails que nous regretterons, plus tard, d'avoir négligés au profit de futilités qui occupaient nos esprits et nous semblaient, alors, de la plus haute importance - et que nous avons, depuis, évidemment oubliées."

Merci à Libfly et aux éditions Points pour la découverte dans le cadre de l'opération "Un poche, un mordu, une critique" !

Un autre avis à lire sur Littérature et chocolat !