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lundi 20 février 2012

La dernière ronde d'Ilf Eddine

C'est l'histoire d'un vieil homme, le narrateur, qui participe à un grand tournoi d'échecs, peut-être don dernier, et se remémore les événements marquants de sa vie, entre Moscou et Paris, notamment pendant la Guerre froide. Champion d'échecs, sa vie tourne autour du jeu, jusqu'à délaisser femme et enfants. Le narrateur nous emporte dans son monde entre nostalgie et regrets du temps passé, mais aussi bonheur et passion des échecs. Car c'est un peu une histoire de ce jeu dans laquelle on croise de grands champions comme Bobby Fischer, Gary Kasparov, Boris Spassky, Anatoli Karpov et l'on apprend plus sur l'enjeu des tournois dans le contexte de la Guerre froide.

Le livre se compose de onze chapitres relatant chaque partie joué par le narrateur dans les onze rondes du tournoi. Ce récit est entrecoupé des souvenirs du vieil homme : son enfance et comment il est devenu passionné par les échecs, ses débuts flamboyants, ses échecs, ses relations avec les femmes et ses enfants, sa participation à l'entraînement du grand Karpov, et puis sa vie à Montpellier où il donne des cours à des joueurs amateurs... On est complètement entraîné dans le récit nostalgique du vieil homme et l'alternance des deux histoires, passée et présente, fonctionne à merveille.

Je n'y connais strictement rien aux échecs, ni à la technique et ni à son histoire. J'ai donc été un peu perdue dans le récit des onze rondes du tournoi avec les déplacements des pièces, les termes techniques et les différentes ouvertures possibles. Mais, l'auteur est parvenue à me plonger dans le tournoi en gardant un rythme haletant, m'obligeant à accélérer ma lecture pour connaître l'issue du tournoi.

Un grand bravo à Ilf Eddine et merci aux éditions Elyzad et à Libfly pour l'opération "Deux éditeurs du Maghreb se livrent".

Sur l'auteur : Ilf-Eddine est né à Paris en 1976. Il a publié deux nouvelles et a reçu le Prix du Jeune Écrivain en 2011 pour l'une d'entre elles. La dernière ronde a été finaliste du Prix des cinq continents de la Francophonie en 2011.

Autre avis très intéressant sur ce livre chez Itzamna

Extraits :

Sur l'ensemble de ma vie, j'ai dormi à l'hôtel aussi souvent que chez moi. J'ai connu des établissements modestes, mal chauffés et vétustes, et d'autres luxueux, qu'ils soient cathédrales soviétiques ou emblèmes impersonnels de la mondialisation. A chaque fois, j'ai aimé l'apaisement procuré par cette clé que l'on vous tend, cette porte qui s'ouvre, cette chambre qui s'offre à vous.

Je suis rentré chez moi plongé dans mes pensées. J'avais croisé Fischer... J'avais secondé Karpov... Aujourd'hui, j'avais vu celui qui, sans nul doute, allait être au firmament des échecs mondiaux dans les années à venir... J'avais quarante-deux ans ; j'étais divorcé ; j'étais fatigué par ma vie à Moscou. Il me fallait passer à autre chose, radicalement, refermer le livre de mes jeunes années... Dans les mois qui ont suivi, sans plus me soucier de l'interzonal et du tournoi des candidats, j'ai quitté l'URSS pour la France et j'ai tiré un trait que je croyais définitif sur les cycles de championnat du monde.

vendredi 3 février 2012

Enfances tunisiennes / collectif des éditions elyzad

Enfances tunisiennes est un recueil de vingt textes écrits par des auteurs de langues française ou arabe. Tous décrivent un ou plusieurs épisodes de leur enfance en Tunisie et racontent des souvenirs familiaux, à l'école, en vacances etc. Les auteurs nous convient à un voyage dans le temps, les récits se déroulant des années 40 aux années 90 et à un voyage dans l'espace, de Tunis au port de la Goulette, en passant par d'autres villes de province. Le tout est accompagné de photographies personnelles des auteurs dans leur enfance, mises en valeur par la remarquable qualité matérielle de l'ouvrage paru aux éditions elyzad en 2010.

Le recueil propose des textes très différents, au niveau du style et de l'écriture. En effet, il y a des romanciers, des poètes, des essayistes, des historiens, des sociologues... Mais tous sont empreints d'une certaine nostalgie : ils évoquent des personnes disparues, des lieux modifiés aujourd'hui et une époque différente. Si certains s'attardent sur un épisode marquant de leur enfance, d'autres s'attachent à décrire une atmosphère et une ambiance plus larges à travers des anecdotes diverses. On assiste alors, à travers le regard d'enfants devenus adultes, aux mutations de la Tunisie (notamment l'indépendance en 1956). La plupart de ces auteurs évoquent un conflit permanent ressenti dans leur enfance de par leurs origines complexes : à la fois arabes, français, italiens, juifs ou chrétiens, ils sont tiraillés par des coutumes et des règles différentes.

Ces enfances tunisiennes, parfois graves et parfois drôles, donnent une image particulière de la Tunisie : une Tunisie multiple, mixant les traditions et les origines et l'image d'un pays à l'histoire complexe. J'ai beaucoup apprécié la lecture de cet ouvrage et remercie les éditions elyzad et Libfly pour cette belle découverte non seulement d'auteurs jamais lus, mais aussi d'un fragment de l'histoire d'un pays.

Des extraits :

"J'étais alors élève dans une école française à Bad Godesberg, en Allemagne, où mon père était ambassadeur de Tunisie à Bonn. Nous jouions dans la cour de récréation. Brusquement, j'entendis un de mes camarades me lancer en criant : "Retourne dans les écoles de ton Bourguiba, on ne sait même pas s'il en a !". Il répétait sans doute, bêtement, sans le comprendre, ce qu'il avait entendu chez ses parents. Je me rappelle cette phrase mot à mot. J'avais neuf ans. Nous étions en 1957. Puis, un attroupement d'élèves se fit autour de moi, et toute la classe s'en prit à moi. Avant même que je ne comprenne ce qui m'arrivait, une des filles, alors ma meilleure amie, me frappa." Extrait de Jamais je ne me suis couchée de bonne heure d'Hélé Béji.

"Ne nous y trompons pas, ici coexistent deux mondes. Qu'ils se dénudent l'un et l'autre, ce n'est pas la même humanité qui, se côtoyant, a garde de se mélanger. Les uns, les conquistadors, se voulant d'une essence supérieure, plus raffinée, plus élevée (puisque l'âme, éthérée, plane au-dessus de la chair, brassée dans une pâte plus grossière, corruptible, qui s'abaisse vers la boue et abaisse) et les autres, pétris dans un limon moins pur, mêlé de croyances archaïques (comment peut-on d'un Aïd l'autre faire carnage d'entiers troupeaux de moutons se demandait-on, oublieux, sans doute, des ripailles de Noël et de la Saint-Sylvestre, hécatombes de porcs, de dindes, de poulardes et de chapons). [...] Ainsi deux mondes se regardent-ils sur la place de mon enfance. [...] Une enfance qui, écartelée entre deux mondes, cherche ses mots." Extrait d'Introuvable d'Ali Bécheur.

Les auteurs des textes : Rabâa Abdelkéfi, Ali Bécheur, Hélé Béji, Emna Belhaj Yahia, Tahar Bekri, Sophie Bessis, Abdeljabbar El Euch, Azza Filali, Aymen Hacen, Hubert Haddad, Abdelaziz Kacem, Mounira Khemir, Nacer Khemir, Ida Kummer, Amel Moussa, Amina Saïd, Jean-Pierre Santini, Guy Sitbon, Walid Soliman et Lucette Valensi.
Textes inédits recueillis par Sophie Bessi et Leïla Sabbar.



lundi 16 janvier 2012

Le café d'Yllka de Cécile Oumhani



Après une quinzaine d'années passées loin de son pays natal, Emina retourne chez son oncle Feti en ex-Yougoslavie. Ensemble, ils évoquent le souvenir de la mère d'Emina et sœur de Feti, disparue en pleine guerre balkanique, et dont il ne reste que quelques lettres. Dans un carnet, Emina cherche à retrouver et réunir ses souvenirs. Elle y parle de ses premières amours, de sa sortie de l'enfance, de sa cousine plus âgée, mais aussi de la guerre, des bombardements, des tirs de snipers dans les rues de Sarajevo, de son père parti les défendre à la guerre, et surtout de sa mère, qui pour protéger Emina et son petit frère, les a envoyés loin du conflit, tout en restant attendre le retour du père. Qu'est-elle devenue ? Est-elle morte ? C'est une réponse à ce doute qui la retient dans le passé qu'Emina est venue chercher dans son retour aux sources.

Quelques mots sur l'auteur : Cécile Oumhani, née en 1952 en Belgique, est une poète et romancière franco-britanno-tunisienne qui a déjà publié de nombreux ouvrages.


C'est avec une très belle écriture imagée que Cécile Oumhani parvient d'emblée à nous plonger dans le récit. On entend les sirènes annonçant un bombardement proche ou le sifflement d'une balle qui passe tout près, on voit les immeubles détruits par les obus, on s'enfonce avec Emina dans les caves en attendant un court répit.

Les personnages sont attachants : le père qui joue de la guitare dans la cave pour rassurer ses proches, Alija le petit frère qui n'abandonne jamais son chat et Yllka, cette mère courage qui jamais ne pleure de peur de montrer ses faiblesses. Enfin, Emina ne peut que nous toucher dans sa recherche de cette mère perdue, dans cette quête impossible qui l'empêche d'avance et la bloque dans son passé.

Si l'image de sa mère est floue, comme le sont les souvenirs d'Emina, c'est par les odeurs et les gestes, qu'elle s'en rappelle. Certains passages m'ont particulièrement enchantée : l'écriture y est poétique et les images très belles.

" La nuit gomme les lignes, efface les années, convie les êtres et leurs secrètes empreintes, d'un souffle venu peupler le paysage à la fenêtre. La nuit offre un sol à son corps délivré. D'un chemin rêvé, elle glisse vers le cercle des visages. Ébahie de couleurs et de sons, elle fouille la présence qui l'envahit, cherche le grain caché du lieu, interroge l'énigme des amonts qu'elle a rejoints. La nuit tisse l'étoffe de lendemains où s'estompera le fardeau de l'énigme, où elle regagnera les rives d'un temps naufragé. "

Si Emina n'a pas existé, elle est pourtant une image de toutes ces personnes qui ont perdu des proches dans une guerre absurde, qui n'ont jamais eu de nouvelles et qui se demandent s'ils sont morts et comment. Ce court roman, qui se lit d'un bout à l'autre sans pouvoir s'arrêter, est universel et m'a profondément touché. Pas étonnant que, paru en 2008, il ait reçu le Prix Littéraire Européen de l'ADELF (Association Des Écrivains de Langue Française) en 2009. 

" Les gens courent dans la rue. leur pas sont de longues enjambées. Ils touchent à peine la chaussée. On dirait des oiseaux qui prennent leur envol, pour éviter la mort qui va fondre sur eux depuis les collines. Les coquilles qui protégeaient leurs vies sont en morceaux et ils sont devenus des oiseaux aux ailes légères. Ils les déploient pour rejoindre ceux qu'ils aiment et quand ils sont près d'eux, ils les gardent grandes ouvertes pour les protéger. Emina a juste le temps d'apercevoir leurs visages amaigris par l'attente. Elle s'élance. Elle va franchir le vide, les épaules transpercées à la pensée  de l’œil qui la guette peut-être, la poitrine déjà incendiée par l'arme pointée sur elle quelque part autour de la ville assiégée."

Je tenais à dire quelques mots sur l'édition de cet ouvrage car j'ai été impressionnée par la qualité : une très belle couverture à rabats et un papier épais de qualité qui font du livre un très bel objet et ne donne que plus envie de le lire. Allez donc voir le catalogue des éditions elyzad.

Merci aux éditions elyzad et à Libfly pour cette belle découverte dans le cadre de l'opération "Deux éditeurs au Maghreb se livrent sur Libfly.com" dont j'avais déjà parlé ici (à la fin du billet).


mercredi 21 décembre 2011

L'envers des autres de Kaouther Adimi

Kaouther Adimi est née en 1986 à Alger. Elle y fait des études de langue et de littérature françaises avant de s'installer à Paris. Remarquée pour ses nouvelles (elle a obtenu le prix du jeune écrivain francophone de Muret en 2006 et 2008), elle publie son premier roman, Des ballerines de papicha, aux éditions Barzakh en Algérie en 2010, repris sous le titre L'envers des autres aux éditions Actes Sud en 2011.

L'envers des autres est un roman polyphonique.  Les chapitres se succèdent et donnent la parole à des personnages différents qui racontent une partie de leur vie à Alger, à notre époque.

L'histoire commence avec Adel qui n'arrive pas à dormir. Il pleure "des larmes de honte et de frustration" et porte un regard très noir sur lui-même. Il sait ce que l'on pense de lui : qu'il n'est pas à la hauteur, qu'il est une femmelette. Pour tromper son désespoir, il passe ses journées à boire et à oublier dans un café. Les journées se succèdent et se ressemblent.

Sa sœur Yasmine est remarquée partout pour sa grande beauté. Étudiante, elle porte un regard cynique sur sa ville, sur la communauté universitaire et étudiante, sur les relations amoureuses, que l'on observe à travers ses yeux. Elle fréquente un jeune homme, Nazim, mais c'est pour oublier son frère qu'elle aime plus que tout.

Leur sœur aînée, Sarah, peint à longueur de journée. Coincée dans cette maison avec son mari Hamza, qui est devenu fou, elle cherche à s'échapper en s'adonnant complètement et pleinement à son art. Leur fille, Mouna, se plaît à être une papicha (une minette) avec ses ballerines bleues toutes neuves. Elle veut se marier avec Kamel, un voisin, et ne prête pas attention aux moqueries de ses camarades de classe.

Enfin, il y a la mère, sans nom, qui a perdu son mari "fauché par une balle aveugle". Elle sait bien ce que les gens disent de ses enfants, trop beaux, trop différents et qui aspirent à plus de liberté. Elle a élevé ses enfants comme il faut mais elle ne comprend pas pourquoi Sarah ne s'occupe plus de son mari et passe ses journées à mélanger des couleurs et pourquoi Yasmine ne se contente pas de trouver un bon travail, un mari et de fonder une famille.

Autour d'eux gravitent des voisins, obnubilés par cette famille étrange. Des jeunes voisins passent leurs nuits à boire et à fumer du shit, partagés par l'envie de quitter leur pays pour l'Europe, promesse d'un meilleur avenir, ou rester pour aider à construire l'Algérie. A partir de l'histoire d'une famille algérienne, c'est une histoire de la jeunesse algérienne posant la question de l'avenir de ces jeunes que pose Kaouther Adimi. Une histoire sombre d'ailleurs, et qui se termine brutalement. La fin est surprenante et laisse des questions en suspens. 

J'ai beaucoup aimé l'écriture limpide de Kaouther Adimi : les dialogues sont naturels et les descriptions rendent bien l'atmosphère particulière de l'Algérie. On est totalement plongés dans cet univers et dans le désespoir de ces personnages qui s'interrogent sur leur avenir.  Je regrette juste que le roman soit si court et se lise si vite : vivement un autre texte de Kaouther Adimi à découvrir !

Extraits :

Il y a dans la nuit quelque chose qui m'attire. Un silence qu'on ne peut retrouver dans le jour. Une sensation d'épaisseur et de lourdeur difficile à définir. Une impression de finitude. J'aime attendre le lever du jour, voir d'un coup la ville s'éveiller. Il est plus raisonnable de dormir toute l'après-midi et de rester debout la nuit.

Mes enfants sont des imbéciles. Des demeurés. Des inconscients. Je ne sais s'ils manquent de maturité, d'intelligence ou simplement de bon sens. Ils doivent être limités. Intellectuellement parlant, s'entend. Parce que physiquement, j'ai l'impression que tout se passe bien pour eux. Et même trop bien. Il aurait mieux valu qu'ils soient handicapés, qu'ils aient par exemple tous les muscles du ventre jusqu'à l'extrémité des orteils paralysés. Ils feraient moins de conneries, ces imbéciles.

Merci aux éditions Barzakh et Actes Sud, ainsi qu'à Libfly pour l'opération "Deux éditeurs se livrent, spécial Maghreb". 

Quelques mots sur cette opération : Pour ceux qui ne connaissent pas le site libfly.com, il s'agit d'une bibliothèque communautaire où chaque inscrit peut partager ses livres et ses critiques. En ce moment, Libfly met en avant deux éditeurs du Maghreb : Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie), spécialisés dans la littérature méditerranéenne. On peut directement leur poser des questions sur le forum de Libfly et une rencontre est organisée le 13 février à Lille (et rediffusée sur LibflyTV) avec les éditeurs et certains auteurs, dont Kaouther Adimi. Plus d'infos sur Libfly !