mercredi 21 décembre 2011

L'envers des autres de Kaouther Adimi

Kaouther Adimi est née en 1986 à Alger. Elle y fait des études de langue et de littérature françaises avant de s'installer à Paris. Remarquée pour ses nouvelles (elle a obtenu le prix du jeune écrivain francophone de Muret en 2006 et 2008), elle publie son premier roman, Des ballerines de papicha, aux éditions Barzakh en Algérie en 2010, repris sous le titre L'envers des autres aux éditions Actes Sud en 2011.

L'envers des autres est un roman polyphonique.  Les chapitres se succèdent et donnent la parole à des personnages différents qui racontent une partie de leur vie à Alger, à notre époque.

L'histoire commence avec Adel qui n'arrive pas à dormir. Il pleure "des larmes de honte et de frustration" et porte un regard très noir sur lui-même. Il sait ce que l'on pense de lui : qu'il n'est pas à la hauteur, qu'il est une femmelette. Pour tromper son désespoir, il passe ses journées à boire et à oublier dans un café. Les journées se succèdent et se ressemblent.

Sa sœur Yasmine est remarquée partout pour sa grande beauté. Étudiante, elle porte un regard cynique sur sa ville, sur la communauté universitaire et étudiante, sur les relations amoureuses, que l'on observe à travers ses yeux. Elle fréquente un jeune homme, Nazim, mais c'est pour oublier son frère qu'elle aime plus que tout.

Leur sœur aînée, Sarah, peint à longueur de journée. Coincée dans cette maison avec son mari Hamza, qui est devenu fou, elle cherche à s'échapper en s'adonnant complètement et pleinement à son art. Leur fille, Mouna, se plaît à être une papicha (une minette) avec ses ballerines bleues toutes neuves. Elle veut se marier avec Kamel, un voisin, et ne prête pas attention aux moqueries de ses camarades de classe.

Enfin, il y a la mère, sans nom, qui a perdu son mari "fauché par une balle aveugle". Elle sait bien ce que les gens disent de ses enfants, trop beaux, trop différents et qui aspirent à plus de liberté. Elle a élevé ses enfants comme il faut mais elle ne comprend pas pourquoi Sarah ne s'occupe plus de son mari et passe ses journées à mélanger des couleurs et pourquoi Yasmine ne se contente pas de trouver un bon travail, un mari et de fonder une famille.

Autour d'eux gravitent des voisins, obnubilés par cette famille étrange. Des jeunes voisins passent leurs nuits à boire et à fumer du shit, partagés par l'envie de quitter leur pays pour l'Europe, promesse d'un meilleur avenir, ou rester pour aider à construire l'Algérie. A partir de l'histoire d'une famille algérienne, c'est une histoire de la jeunesse algérienne posant la question de l'avenir de ces jeunes que pose Kaouther Adimi. Une histoire sombre d'ailleurs, et qui se termine brutalement. La fin est surprenante et laisse des questions en suspens. 

J'ai beaucoup aimé l'écriture limpide de Kaouther Adimi : les dialogues sont naturels et les descriptions rendent bien l'atmosphère particulière de l'Algérie. On est totalement plongés dans cet univers et dans le désespoir de ces personnages qui s'interrogent sur leur avenir.  Je regrette juste que le roman soit si court et se lise si vite : vivement un autre texte de Kaouther Adimi à découvrir !

Extraits :

Il y a dans la nuit quelque chose qui m'attire. Un silence qu'on ne peut retrouver dans le jour. Une sensation d'épaisseur et de lourdeur difficile à définir. Une impression de finitude. J'aime attendre le lever du jour, voir d'un coup la ville s'éveiller. Il est plus raisonnable de dormir toute l'après-midi et de rester debout la nuit.

Mes enfants sont des imbéciles. Des demeurés. Des inconscients. Je ne sais s'ils manquent de maturité, d'intelligence ou simplement de bon sens. Ils doivent être limités. Intellectuellement parlant, s'entend. Parce que physiquement, j'ai l'impression que tout se passe bien pour eux. Et même trop bien. Il aurait mieux valu qu'ils soient handicapés, qu'ils aient par exemple tous les muscles du ventre jusqu'à l'extrémité des orteils paralysés. Ils feraient moins de conneries, ces imbéciles.

Merci aux éditions Barzakh et Actes Sud, ainsi qu'à Libfly pour l'opération "Deux éditeurs se livrent, spécial Maghreb". 

Quelques mots sur cette opération : Pour ceux qui ne connaissent pas le site libfly.com, il s'agit d'une bibliothèque communautaire où chaque inscrit peut partager ses livres et ses critiques. En ce moment, Libfly met en avant deux éditeurs du Maghreb : Elyzad (Tunisie) et Barzakh (Algérie), spécialisés dans la littérature méditerranéenne. On peut directement leur poser des questions sur le forum de Libfly et une rencontre est organisée le 13 février à Lille (et rediffusée sur LibflyTV) avec les éditeurs et certains auteurs, dont Kaouther Adimi. Plus d'infos sur Libfly !



 

lundi 19 décembre 2011

Le ravissement de Lol V. Stein / Marguerite Duras

Lol V. Stein a dix-neuf ans quand elle se fiance à Michael Richardson, rencontré pendant ses vacances à T. Beach. L'histoire commence au bal du Casino, quand une femme entre dans la salle et que Michael abandonne instantanément Lol pour partir avec. S'ensuit une "crise", une "maladie" et la disparition de Lol V. Stein. Dix ans plus tard, Lol revient dans sa ville natale, mariée et mère de trois enfants. Elle y retrouve son amie d'enfance, Tatiana Karl, et rencontre l'amant de celle-ci, Jacques Hold.

Je continue dans ma découverte de l'œuvre de Marguerite Duras, avec cette fois-ci un roman, très connu et publié en 1964. Je ne le connaissais que de nom et me demandais quel pouvait être le sens de ravissement dans ce roman. Enlèvement ? Extase ? Le titre joue bien évidemment sur les sens de ce mot. Dès le début du roman, c'est un "je" qui raconte l'histoire de Lol V. Stein, un "je" dont l'identité ne nous est révélée que plus tard. Ce narrateur raconte ce qu'il connaît par ouï-dire et surtout par Tatiana, celle qui était présent au bal et qui a tenu la main de Lol pendant sa crise. Il invente et imagine ce qu'il ne connaît pas, car Lol est un mystère qu'il cherche à élucider.

Trois femmes : Lol V. Stein, Tatiana Karl et Anne-Marie Stretter. Quatre hommes : Jean Bedford, qui a épousé Lol ; Jacques Hold, l'amant de Tatiana ; Pierre Beugner, son mari et Michael Richardson. Ils se lient et se délient entre eux pour former des couples à des états différents : amour naissant, passion charnelle, couples sans amour... Et tout tourne autour du personnage captivant de Lol, et de cette scène du bal à T. Beach qui revient à de nombreuses reprises, sans cesse revécue par Lol et imaginée par le narrateur. Lol est-elle guérie ? Sa maison et sa vie trop ordonnées sont-elles des symptômes d'une folie (le mot est dit) encore présente ? A quoi pense-t-elle lors de ces longues promenades qui la mènent toujours à l'hôtel Des Bois où se rencontrent Tatiana et Jacques Hold ?

Décidément, j'aime l'écriture de Duras. J'aime relire certains passages, parfois à voix haute pour bien en saisir l'oralité. Moins difficile d'accès que des textes plus obscurs (par exemple, Les yeux bleus, les cheveux noirs précédemment lu), il en reste pas moins que certains passages du Ravissement de Lol V. Stein ouvrent la voie à plusieurs interprétations, ce qui complique mais enrichit la lecture. C'est donc définitivement un roman que je vais relire, car il fait partie de ces romans dont les relectures nous apprennent toujours quelque chose. Bien que n'ayant lu que très peu d'œuvres de Duras, Le ravissement de Lol V. Stein fait partie de mes préférés, et m'a totalement ravie.

Un extrait :

Ce que je crois : 
Des pensées, un fourmillement, toutes également frappées de stérilité une fois la promenade terminée - aucune de ces pensées jamais n'a passé la porte de sa maison - viennent à Lol V. Stein pendant qu'elle marche. On dirait que c'est le déplacement machinal de son corps qui les fait se lever toutes ensemble dans un mouvement désordonné, confus, généreux. Lol les reçoit avec plaisir et dans un égal étonnement. De l'air s'engouffre dans sa maison, la dérange, elle en est chassée. Les pensées arrivent. 
Pensées naissantes et renaissantes, quotidiennes, toujours les mêmes qui viennent dans la bousculade, prennent vie et respirent dans un univers disponible aux confins vides et dont une, une seule, arrive avec le temps, à la fin, à se lire et à se voir un peu mieux que les autres, à presser Lol un peu plus que les autres de la retenir enfin.
Le bal tremblait au loin, ancien, seule épave d'un océan maintenant tranquille, dans la pluie, à S. Tahla. Tatiana, plus tard, quand je le lui ai dit, a partagé mon avis.

lundi 12 décembre 2011

Le quai de Ouistreham : reportage de Florence Aubenas

En 2009, Florence Aubenas, journaliste, décide de se mettre dans la peau d'une demandeuse d'emploi et de vivre au quotidien l'enfer des emplois précaires. Incognito, Florence Aubenas s'est installée dans une chambre meublée à Caen et s'est inscrite à Pôle emploi. Sa seule limite : arrêter le jour où on lui propose un CDI. Le quai de Ouistreham raconte sa quête qui a duré presque six mois.

Ce livre n'est pas un roman, mais un reportage : les situations et les personnages sont réels. L'écriture de Florence Aubenas est pourtant romancée, et agréable à lire : il y a peu ou pas d'analyse sur le chômage et sur la "crise" de 2009, mais des faits concrets dans la vie de demandeurs d'emplois que l'on entend et que l'on voit peu habituellement. Comme Florence Aubenas, on est immergés dans la quête d'un emploi, les rendez-vous à Pôle emploi, les ateliers "Rédiger un CV", les stages "propreté" et surtout les ménages dans les bureaux et sur le ferry de Ouistreham. On y découvre la solidarité, le courage et l'entraide, mais aussi la mesquinerie et la méchanceté. On y trouve également des éléments intéressants sur l'histoire du syndicalisme et des fermetures de grandes entreprises françaises en Normandie (Société Métallurgique de Normandie, Moulinex...)., ce qui rajoute un contexte important à l'histoire des personnes que Florence Aubenas rencontre.
 
Parfois un peu brouillon, il m'est arrivé de me perdre dans la masse d'hommes, et surtout de femmes, que Florence Aubenas rencontre et dont elle trace un rapide portrait (sous couvert d'anonymat). J'ai aimé trouvé dans ce texte un témoignage de la précarité et non pas une analyse détaillée du chômage en France. Même si Le quai de Oustreham n'apporte rien de nouveau à ce que l'on connaît, ou que l'on imagine, c'est un document social qui laisse un arrière-goût amer d'injustice et une envie de révolte.

Un extrait :

Quand les gens du ménage parlent de cette quête du travail, tous disent la même chose. Le pire, c'est cette première fois, ou plutôt ces premières fois, se lever dans la ville endormie, rouler la nuit vers des endroits inconnus en se demandant où on va tomber. Ce serait exagérer de parler de peur, un pincement plutôt, qui vient s'ajouter à ce fond de fatigue, impossible à résorber. On tient aux nerfs et à l'espoir, celui d'arriver enfin quelque part, mais le but paraît toujours plus lointain.

Merci aux éditions Points et à Libfly pour l'opération "Un poche, un mordu, une critique" ! 
 

jeudi 8 décembre 2011

Cadavre exquis de Pénélope Bagieu

Parlons un peu BD pour changer ! Vous connaissez sûrement Pénélope Bagieu et son blog "Ma vie est tout à fait fascinante" (adapté en livre) dans lequel elle met en scène sa vie dans de petites scènes bourrées d'humour, ou peut-être ses BD Joséphine, suite de sketches en une page. En 2010, elle sort sa première longue histoire sur 128 pages de BD, Cadavre exquis, aux éditions Gallimard, collection Batou, et maintenant disponible en poche chez Folio.

Cadavre exquis raconte l'histoire de la jolie Zoé, pas vraiment heureuse dans sa vie : en plus de se coltiner un petit ami paresseux et méchant, elle est hôtesse d'accueil dans les salons et condamnée à jouer le rôle de potiche devant des hommes qui ne savent pas se tenir ! Quand elle rencontre Thomas Rocher, un écrivain enfermé dans son appartement, leurs vies à tous deux basculent...


Niveau dessin, on reconnait bien le style de Pénélope Bagieu : personnages très expressifs, couleurs vives et chatoyantes, décors soignés et remplis de détails. Alors, on aime ou on n'aime pas, et moi j'aime bien ! En plus, on remarque une véritable amélioration entre les tout premiers dessins de Ma vie est tout à fait fascinante et les dessins plus matures de Cadavre exquis.

© Penelope Bagieu - Gallimard

Niveau scénario, c'est là que le bât blesse. Les personnages, notamment la pétillante Zoé, sont attachants, l'histoire est bien lancée dès le début, mais rapidement, j'ai trouvé que certaines situations étaient mal amenées, voire incongrues. Il manque quelques détails et quelques développements par-ci, par-là, pour que j'accroche vraiment à l'histoire. La fin, un peu rapide à mon goût, m'a d'ailleurs un peu déçue.

Bref, je vous conseille cette BD si vous êtes fan des dessins de Pénélope Bagieu et si vous voulez découvrir sa première "longue histoire", prometteuse malgré tout.


mardi 6 décembre 2011

Et rester vivant de Jean-Philippe Blondel

A l'âge de 18 ans, Jean-Philippe Blondel perd sa mère et son frère dans un accident de voiture. Quatre ans plus tard, son père décède également dans un accident de voiture. Il décide alors de partir aux États-Unis, accompagné de deux amis, et de parcourir la Californie au volant d'une Thunderbird, pour se rendre finalement à Morro Bay, porté par la musique de Lloyd Cole and the Commotions et leur chanson Rich.

Vingt-cinq années plus tard, Jean-Philippe Blondel revient sur ces événements tragiques qui l'ont vu en l'espace de quatre ans, perdre sa famille et devenir orphelin. Sans doute le temps lui a été nécessaire pour pouvoir raconter cette histoire, et ce, sans s'apitoyer sur son sort. Car Jean-Philippe propose avant tout une belle histoire d'amitié autour d'un complexe triangle amoureux : Laure, sa petite-amie, avait choisi de le quitter pour Samuel, son meilleur ami, juste avant l'accident de son père. Mais, l'amitié l'emporte sur le reste, et c'est un trio aux relations certes compliquées mais très fortes, qui parcourent la Californie en voiture.

Et rester vivant, c'est donc aussi une sorte de road-trip américain, fait de diverses rencontres qui ont aidé le jeune homme à se remettre "sur la bonne route"... J'ai aimé ces personnages "secondaires", ces Américains aux paroles si justes qui ont su touché le narrateur au plus profond de son désespoir.

Avec ce roman autobiographique, Jean-Philippe Blondel livre un bel hommage à ses fidèles amis et à ces âmes rencontrées au bord des routes de Californie, qui l'ont accompagné dans les moments les plus sombres et l'ont aidé à rester vivant.

C'est le premier roman de Blondel que je lis et j'ai apprécié son écriture très forte. Chaque phrase est percutante et Blondel réussit très bien à plonger le lecteur dans ses pensées. Est-ce dû au caractère autobiographique du récit ? J'ai bien envie d'aller vérifier en piochant dans un des nombreux romans de Blondel...


Un extrait :

J'ai fermé les yeux et, pendant quelques secondes, j'ai eu vingt-deux ans, des cheveux dans le cou, deux dizaines de kilos en moins, une boucle d'oreille dans le lobe gauche. J'étais assis au bord de la route qui surplombe Morro Bay, Californie. Ce qui comptait, c'était l'ici et le maintenant. L'été. L'été 1986.


D'autres billets sur Et rester vivant ont été écrits chez : Delphine, Asphodèle, George, Clara, A propos de livres et bien d'autres....

Chez Hérisson