lundi 14 mai 2012

Le pont flottant des songes de Junichirô Tanizaki

Tadasu a deux mères : celle qui l'a mis au monde et qui meurt quelques années plus tard, et sa belle-mère avec qui se remarie son père. Avec elle, il entretient une relation ambiguë, entre amour filial et désir. Ses deux mamans s'appellent Chinu et leurs images se confondent dans les souvenirs de Tadasu. À partir d'un poème écrit par l'une ou l'autre de ses mères, il retrace l'histoire de son enfance et l'arrivée de sa deuxième mère à l'Ermitage aux Hérons, belle propriété typiquement japonaise.

Si Le pont flottant des songes a été publié en 1959, l'intrigue se déroule au début du 20e siècle et offre au lecteur l'image d'un Japon assez traditionnel : longuement décrit, l'Ermitage aux Hérons est une magnifique demeure entouré d'un jardin paysager, qui contient un étang où les carpes et les gardons se réfugient volontiers, et où la vie est rythmée par le bruit du sôzu ("On avait installé sur son parcours un de ces dispositifs en bambou que l'on connaît sous le nom de sôzu, où l'eau, s'étant accumulée dans un tube, le fait soudain basculer pour s'écouler de l'autre côté, dans le claquement sonore du tube qui reprend sa place") et le son du koto joué par les deux mères de Tadasu. À l'intérieur, fusuma et tatami viennent compléter la description.

C'est donc un véritable paradis terrestre que décrit Junichirô Tanizaki, paradis au sein duquel va grandir Tadasu, enfant unique et chéri par ses deux mères, et surtout sa belle-mère, qui en plus de se faire appeler Chinu, comme la première maman, se comporte à l'identique, à tel point que Tadasu ne parviendra plus à les distinguer dans ses tout premiers souvenirs. Mais, en grandissant, l'amour filial s'accompagne également d'un désir plus sensuel pour sa belle-mère et, à l'éloge de la mère, s'ajoute l'éloge de la femme. Petit à petit, on découvre avec Tadasu, le passé de Chinu, ancienne maiko (apprentie geisha) et l'on comprend les choix, parfois difficiles, qui ont été faits par son père et Chinu.

Je ne connaissais pas du tout Junichirô Tanizaki et j'ai été ravie de cette découverte et de la très belle, mais traditionnelle, image du Japon. Les relations mère/fils sont ambiguës, et je pense notamment à la scène dans laquelle Tadasu, jeune homme, tête les seins de sa belle-mère. Mais cela n'apparaît pas glauque, ou répréhensible, mais j'y ai plutôt vu l'éloge de la féminité que fait l'auteur.

Extrait :

Lorsque je restais appuyé à la balustrade de la véranda, la vue des carpes et des gardons qui nageaient dans l'étang me faisait soupirer après maman, et le bruit de l'eau qui cascadait dans la bascule de bambou me faisait languir d'elle. Mais c'était surtout le soir, une fois couché dans les bras de ma nourrice, que la nostalgie me saisissait avec une intensité impossible à décrire. Pourquoi ne revenait-il pas, tout ce monde de rêve doux et blanchâtre dans la tiédeur de son sein, avec ces effluves où le parfum de sa chevelure se mêlait à l'odeur du lait ! La disparition de maman signifiait-elle l'anéantisement de ce monde ? Cet univers, où donc l'avait-elle à jamais emporté ? Pour me consoler, la nourrice voulait me fredonner les paroles de Je demande à l'oreiller, est-ce un bébé qui dort ? Est-ce un bébé qui dort ?... mais cela ne faisait qu'augmenter mon chagrin :
"Non ! Arrête ! Arrête ! J'veux pas que tu chantes !... Je veux être avec maman !"


Avec ce billet, je participe au challenge Dragon 2012 organisé par Catherine !

 

vendredi 11 mai 2012

Les imperfectionnistes de Tom Rachman

Roman polyphonique, Les imperfectionnistes se compose de chapitres, presque des nouvelles indépendantes les unes des autres, retraçant un épisode de la vie d'hommes et des femmes qui se croisent sans se connaître vraiment. Ils travaillent tous pour le même journal international basé à Rome ou sont lecteurs dudit journal. Du directeur de la publication incompétent au pigiste débutant, en passant par la rédactrice en chef et la lectrice fidèle, Tom Rachman dresse des portraits variés, souvent drôles, de personnages plus ou moins attachants et raconte la vie d'un journal, de sa fondation à sa chute. Tous ces portraits sont liés les uns aux autres : le personnage principal d'un des chapitres fera par exemple une courte apparition dans un autre chapitre. Entre les portraits, s'insère également un texte différent, présenté en italiques, qui évoque la création du journal en 1953 et explique les motivations du fondateur Cyrus Ott. 




Tom Rachman nous plonge dans le monde du journalisme dont il fait une satire assez acide et on se plaît à imaginer à quel point l'auteur s'inspire de sa propre expérience (il a travaillé à la rédaction de l'International Herald Tribune à Paris) et des personnes qu'il a côtoyées. Car ses portraits ne manquent pas de réalisme, même si certains personnages sont assez loufoques, et les situations décrites ne sont pas totalement farfelues. J'ai commencé à lire ce premier roman de Tom Rachman avec des a priori : le journalisme n'était pas un univers qui m'intéressait particulièrement et j'avais peur de retrouver trop de stéréotypes du journaliste. Mais, si la plupart des personnages sont journalistes, ce sont aussi des hommes et des femmes, et l'auteur nous narre leurs déboires affectifs et familiaux, ce que j'ai apprécié au-delà de la vie du journal en elle-même. Bref, j'ai plutôt bien aimé ce tout premier roman de Tom Rachman, qui serait actuellement en train de travail sur un deuxième, à surveiller donc.


Ce livre fait partie de la sélection littérature du mois d'avril du Prix des Lecteurs - Livre de Poche.




jeudi 3 mai 2012

Prix des Lecteurs Livre de Poche 2012 : bilan avril + sélection littérature de mai

Et oui, on est au tout début du mois de mai et déjà onze livres lus pour ce Prix des Lecteurs - Livre de Poche. C'est l'heure de faire le bilan des lectures du mois d'avril. Un mois riche en découverte avec quatre livres que je n'avais pas lus et trois auteurs que je ne connaissais pas. Ce mois-ci, j'ai choisi de voter pour La ballade de Lila K de Blandine Le Callet, dont vous pouvez retrouver mon billet ici. J'ai hésité avec Olive Kitteridge d'Elizabeth Strout. Mais voilà il fallait faire un choix et j'ai dévoré ce petit roman dystopique de Blandine Le Callet ! Quant aux Radley de Matt Haig et aux Imperfectionnistes de Tom Rachman (billet à venir), ce fut de bonnes découvertes, mais pas sensationnelles.

Alors que nous réserve la sélection littérature du mois de mai ?


Le livre perdu des sortilèges de Déborah Harkness
4e de couv' : Diana Bishop a renoncé depuis longtemps à un héritage familial compliqué, pour privilégier ses recherches universitaires, une vie simple et ordinaire. Jusqu’au jour où elle emprunte un manuscrit alchimique : l’Ashmole 782. Elle ignore alors qu’elle vient de réveiller un ancien et terrible secret – un secret convoité par de nombreuses et redoutables créatures. Parmi eux, Matthew Clairmont. Un tueur, lui a-t-on dit. Malgré elle, Diana se retrouve au cœur de la tourmente.

Déjà lu et j'ai adoré ce roman de vampires et sorciers plutôt mature.


Les trois saisons de la rage de Victor Cohen Hadria
4e de couv' : Formidable catalogue des mœurs, croyances et turpitudes du monde rural, Les Trois Saisons de la rage, qui se situe en Normandie, est autant le roman d'un médecin de campagne au XIXe siècle que l'évocation universelle de ce qui suscite les comportements humains. Tissant une foisonnante intrigue de destins, de situations et de révélations où la naïveté, le cynisme, l'égoïsme, l'avidité et le désir mènent la ronde, il confirme le talent de Victor Cohen Hadria, l’ auteur des Chroniques des quatre horizons, dont la vision du monde, lucide, et même impitoyable, n’est pourtant pas dépourvue d'humanité.

Je ne connais pas du tout mais j'aime beaucoup la couverture (et la police d'écriture très originale) et le résumé me tente bien...

Purge de Sofi Oksanen 
4e de couv' : 1992, fin de l’été en Estonie. L'Union soviétique s'effondre et la population fête le départ des Russes. Sauf la vieille Aliide, qui redoute les pillages et vit terrée dans sa ferme. Lorsqu’elle trouve dans son jardin Zara, une jeune femme que des mafieux russes ont obligée à se prostituer à Berlin, meurtrie, en fuite, elle hésite à l’accueillir. Pourtant, une amitié finit par naître entre Zara et elle. Aliide aussi a connu la violence et l’humiliation… A travers ces destins croisés pleins de bruit et de fureur, c’est cinquante ans d’histoire de l’Estonie que fait défiler Sofi Oksanen.

Déjà lu et j'ai été plutôt déçue malgré les très bonnes critiques qui encensent ce roman. Vous pouvez retrouver mon ancien billet ici. Je ne pense pas du tout le relire !

Contrairement au mois dernier, il n'y aura pas beaucoup de découvertes pour moi ce mois-ci. Si mon cœur penche déjà pour Le livre perdu des sortilèges (que je vais sûrement relire), reste encore à lire Les trois saisons de la rage qui promet d'être une belle surprise !

Et vous, avez-vous déjà lu ces livres ?


Pour information, voici un récapitulatif des livres choisis par le jury de lecteurs :
- février : Le front russe de Jean-Claude Lalumière
- mars : Le Club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia