mardi 29 septembre 2015

Jugan de Jérôme Leroy

En vacances sur l'île de Paros, le narrateur profite de la tranquillité d'une chaude nuit pour rêver de Noirbourg et des événements survenus il y a une dizaine d'années. Jugan, leader du groupe d'extrême gauche Action Rouge vient d'être libéré de prison après une peine de dix-huit ans. Clotilde Mauduit, ancienne membre d'Action Rouge et aujourd'hui conseillère principale d'éducation d'un collège d'une ZEP, lui a trouvé un emploi d'aide aux devoirs dans un centre social. Jugan y fait la rencontre d'Assia Rafia, jeune étudiante en comptabilité. Cette rencontre va tourner au drame et le narrateur, professeur de lettres classiques dans le même collège que Clotilde, en sera un simple témoin.

Dans ce roman de Jérôme Leroy, nous savons très peu de choses sur le narrateur : il est professeur, marié et père d'une petite fille de quatre ans. Mais avant cette "vie si banalement rangée", il a été témoin d'un évènement traumatisant qu'il ne parvient pas à oublier. Dès le début, nous savons qu'un terrible drame a eu lieu et, présenté ainsi, j'ai eu très envie d'enchaîner rapidement les pages pour le découvrir. Le roman est une descente dans le rêve éveillé du narrateur qui cherche à comprendre ce qu'il s'est passé comme une sorte de thérapie pour mieux se souvenir et oublier.

Tout est lié à l'arrivée de Joël Jugan. Jugan est décrit par le narrateur comme un monstre, ravagé physiquement - son visage brûlé n'est qu'une plaie vivante - et mentalement - son passage dans les Quartiers de Haute Sécurité en prison n'ayant pas amélioré son caractère dangereux. Il était leader d'un groupe d'extrême gauche qui a dérivé vers le terrorisme (meurtre d'un PDG, braquages...). A sa sortie de prison, Jugan découvre un monde qui a changé, un monde où les anciens compagnons se sont rangés et sont devenus honnêtes médecins ou autre. Mais, le narrateur n'oublie pas que Jugan n'était pas seulement un fanatique prêt à tout pour servir la Cause, mais aussi, au début, un jeune homme désireux de changer et d'améliorer le monde. C'est donc avec des sentiments complexes et contradictoires, que j'ai également ressentis, que le narrateur nous décrit Jugan : tendresse pour le jeune homme idéaliste, pitié pour l'homme ravagé, horreur pour le monstre qu'il est devenu. Complètement à son opposé, la belle et intelligente Assia apparaît comme un ange auprès du Diable. Inexplicablement, elle est envoutée par Jugan, responsable de sa longue descente aux Enfers à laquelle assiste, affligé et impuissant, le narrateur.

Beaucoup de thèmes sont évoqués dans ce roman. En retraçant le passé de Joël Jugan avant la prison, c'est tout un contexte social et politique de l'époque qui est présenté : la lutte armée d'Action Rouge ne sont pas sans rappeler bien sûr le groupe Action Directe. Les QHS font aussi penser à Mesrine. Jérôme Leroy, à travers le personnage d'Assia Rafa et de sa famille, évoque aussi le racisme, l'intégration, la difficulté d'être une jeune femme arabe dans une banlieue. Enfin, les gitans, à la fois fournisseurs d'armes et ensorceleurs parfois maléfiques, ont aussi un rôle à jouer dans le drame du roman.

Jérôme Leroy a une belle écriture fluide et captivante. J'ai aimé ce roman dès les premières pages qui sont empreintes de nostalgie, et la suite a réussi à me tenir en haleine, même si finalement je m'attendais, comme Clotilde Mauduit, à quelque chose de plus, ou à autre chose, avec le retour de Jugan, un personnage négatif mais quelque peu fascinant. Malgré cela, ce roman a été pour moi une très belle découverte, tant pour l’histoire que pour le style de l’auteur, et je me suis laissée emporter par les souvenirs du narrateur, impuissante comme lui devant le désespoir d’Assia, et incapable comme lui de passer à autre chose avant de connaître la toute fin de l’histoire.
 
 
 
Ce roman a été lu dans le cadre de l'opération Explolecteurs de www.lecteurs.com.

1 commentaire:

  1. "belle découverte" -> Je prends note, et si je le croise un de ces quatre en librairie, pourquoi pas ?

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